November 4, 2010
RÉMINISCENCE APOCRYPHE
Les souvenirs hantent le paysage. Les symboles marquent un passage.
Une errance photographique sur les lieux sacrés et la foi catholique au Québec par Annie-Ève Dumontier, Étienne Dionne et Gil Nault, accompagnée de la pièce ‘Communion’ de Pierre Henry.
Autrefois étiquette identitaire, l’Église catholique (romaine) est fortement ancrée dans le patrimoine culturel québécois. À preuve, les paroisses qui composent le décor de la province portent les noms de saints, pour la plupart. Ne dit-on pas aussi de Montréal qu’elle est la “ville aux cent clochers”… Pourtant, on observe depuis la fin des années cinquante une importante diminution du nombre de fidèles à la messe du dimanche.
Perte d’influence des autorités religieuses. Désacralisation de notre société. Clergé et fidèles vieillissants. Rupture du lien particulier qu’entretenait la culture québécoise avec le catholicisme institutionnel.
On se dit de plus en plus musulmans, hindouistes, athées ou bouddhistes. On se dit aussi “catholique par défaut” (non pratiquant), une sorte de caractéristique de notre identité collective. Cependant, cet attachement au passé qui traduit le désir de faire partie d’une communauté s’érode. Un malaise persiste.
Issue d’un intérêt partagé pour le patrimoine religieux du Québec et d’une fascination pour le ton des images qui composent son imaginaire, la collaboration entre Annie-Ève Dumontier, Étienne Dionne et Gil Nault remonte à novembre 2008, première édition de leur exposition de photographies “Sacrement, la grâce sacramentelle de la pénitence“. À travers une réappropriation des codes religieux, ils questionnent l’authenticité du sacré, son spectacle et les moyens de sa mise en scène.
Ils proposent ici une errance photographique ayant comme point de départ les espaces sacrés où se pratique et se renforce collectivement la foi catholique. En revisitant l’esthétique visuelle propre au catholicisme, leurs images renvoient à un passé pas si lointain de notre histoire, mais qui nous semble pourtant d’une autre époque à la lecture des textes du petit catéchisme. Un parcours fantomatique qui nous amène à nous demander si ce sont les églises désertes qui nous hantent ou si c’est nous qui hantons le paysage.
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ENTREVUE SUR LE BLOG ONF
Réminiscence apocryphe : l’art sacré revisité.
Publié le 3 novembre 2010 par Catherine Perreault.
S’insérant dans la foulée des nouveaux projets interactifs d’ONF.ca, Réminiscence apocryphe est une errance photographique sur les lieux sacrés et la foi catholique au Québec. Le trio d’artistes visuels formé d’Annie-Ève Dumontier, Gil Nault et Étienne Dionne a parcouru la province et saisi sur pellicule des objets et des sites qui frappent l’imaginaire, ravivent de vieux souvenirs du temps de nos parents et hantent le paysage.
Genèse d’un essai-photo
Issus du milieu de la musique metal, Nault et Dionne sont des habitués des symboles et du vocabulaire sacrés. L’art religieux les fascine depuis longtemps. Ils font d’ailleurs partie de la génération n’ayant pas reçu une éducation catholique à l’école, ayant plutôt suivi des cours de morale. Ils portent donc un regard extérieur sur l’Église et le « spectacle » qu’elle nous offre.
Membre féminine du trio, la photographe Annie-Ève Dumontier partage elle aussi cet attrait particulier pour les objets mythiques, qui racontent une histoire, et pour les paysages presque hantés.
Ensembles, ils ont d’abord créé un fanzine, soit un livre-photo constitué de textes et de paroles de musique religieuse. Vous pouvez consulter les deux premières éditions sur leur blogue à l’adresse : Liturgieapocryphe.com (vous êtes dessus).
En 2008, il y a aussi eu une exposition à la Galerie Morgan Bridge à Québec, intitulée Sacrement, la grâce sacramentelle de la pénitence. Les médias se sont mis à parler du projet et l’émission Mange ta ville à ARTV a tourné ce reportage avec les trois artistes.
Il s’adonne que Gil Nault est aussi mon collègue. Il travaille à titre de designer Web pour ONF.ca. Son projet n’a pas échappé à l’équipe des productions interactives de l’ONF. Après avoir vu le deuxième fanzine, celle-ci a rapidement proposé aux trois artistes de transformer leur projet en un parcours interactif pour le Web.
Pour en savoir plus, j’ai rencontré Gil afin qu’il nous explique son travail et sa vision.
Catherine Perreault : D’où vient cet intérêt des objets et des lieux sacrés?
Gil Nault : Je réponds sensiblement la même chose à chaque fois qu’on me pose cette question. Mon attrait est probablement dû au ton général et à la façon dont ces lieux et ces objets sacrés sont présentés. Je suis attiré par leur « mise en scène », si l’on veut. Rien n’est laissé au hasard dans la célébration de la foi et c’est ce souci du détail qui m’a d’abord interpellé.
En observant l’imaginaire pictural catholique de la province, je me suis aperçu que les images étaient généralement maussades et austères… Elles sont empreintes de douleur et de tristesse. C’est sans doute pour rappeler l’idée du sacrifice, du don de soi. Il y a certainement une grande beauté aussi dans tout ça. Tout a été fait dans l’esprit qui renvoie à l’idée qu’on appartient à quelque chose de plus grand que nous. Il y a une sorte de « majestuosité » dans l’œuvre et dans son intention. Je trouve que l’art religieux, les lieux sacrés et tout ce qui les entourent comporte une prétention intéressante. Ils suggèrent une lourde charge. Un peu comme le dit l’expression, c’est très «révélateur de la nature humaine»…
CP : Où avez-vous photographié toutes ces statues de personnages bibliques et ce cimetière qui semble abandonné?
GN : Un peu partout à travers la province. L’histoire que nous voulions raconter avant tout est celle représentée par les images d’« intérieurs » prises par Étienne (Dionne) chez un curé décédé il y a quelques années. L’accumulation (presque obsessive) des objets religieux, mêlés à un décor déjà très sombre, rendait ces lieux particulièrement intéressants. Il y avait là une sorte de surcharge de symboles, comme s’il voulait s’immerger complètement du « message » ou quelque chose comme ça.
CP : Est-ce que le projet a changé votre perception ou votre opinion sur la religion et l’Église catholique?
GN : Pas du tout. Les événements récents de l’actualité, comme la remise en question du droit à l’avortement, le nombre (ridiculement élevé) de cas de pédophilie chez le clergé ou l’homophobie assumée et tenace du Vatican, n’ont fait qu’appuyer et renforcir ma position personnelle.
En fait, le projet m’a davantage fait réfléchir à la perte du lien entre les membres d’une communauté (comme la disparition des rassemblements sur le parvis de l’église, par exemple), à la confrontation des valeurs culturelles et à l’intérêt (sélectif) que l’on porte ou non au patrimoine.
CP : Est-ce qu’on peut voir une critique de la religion à travers Réminiscence apocryphe?
GN : Le plus discrètement possible. L’idée est plutôt de reproduire « fidèlement » l’imaginaire religieux ou plutôt, l’impression qu’on en a. Notre projet n’a rien à voir avec l’ironie par contre. Je crois que c’est important de le préciser.
CP : Qu’est-ce qui vous a donné le goût de transformer votre exposition-photo en un projet interactif pour le Web?
GN : Je pense que le Département des productions interactives de l’ONF a d’abord démontré son intérêt en voyant le livre-photo (JHS, Solstice Été MMX) qu’on préparait à ce moment-là. Ce dernier rassemble la majorité des photos qui cadrent avec notre exposition Sacrement, la grâce sacramentelle de la pénitence. Par la suite, on a légèrement modifié la succession des images pour l’adapter au propos qu’on voulait donner au projet Web.
Dans Réminiscence apocryphe, le point de départ se trouve dans les lieux publics où s’exerce la foi en collectivité. On erre progressivement ensuite vers des lieux plus intimes où l’on pratique la foi de façon personnelle. On retrouve les croyances et les rituels qu’on ramène chez soi et la manière qu’on « vit » la foi au quotidien, qu’on l’habite et qu’elle nous habite.
Soit ça ou Hugues Sweeney, le directeur des projets interatifs, qui est aussi un amateur de heavy metal, est tombé par hasard sur mon blogue …
CP : Comment devrions-nous parcourir et explorer Réminiscence apocryphe en tant qu’internaute?
GN : Montez le son et fermez les lumières. Soda mousse au besoin.