Juifs, chrétiens, musulmans, tous s’entendent sur les miracles du divin. Pourtant, quand on cherche, beaucoup de faits exceptionnels trouvent une explication rationnelle. À condition de ne pas prendre tous les textes religieux au pied de la lettre.

 

Tenter d’expliquer un miracle religieux par la science, c’est souvent s’exposer à la foudre des croyants. En tout cas, à celle de ceux qui prennent les textes relatant ces phénomènes paranormaux au pied de la lettre, balayant d’emblée toute analyse critique. Et en matière de défense du miraculeux, les fidèles des trois grands monothéismes s’entendent comme larrons en foire. Au point que même certaines autorités religieuses en viennent à réfréner leurs ardeurs…

 

Il en va ainsi de Lourdes et de son sanctuaire marial, où quelques millions de pèlerins, dont des dizaines de milliers de malades, convergent chaque année dans l’espoir d’une guérison miraculeuse. C’est là, dans la grotte de Massabielle, que Bernadette Soubirous prétend avoir vu et entendu la Vierge, en 1858. Le site s’est doté d’un bureau des constatations médicales dès 1883. Il est aujourd’hui composé de médecins et de religieux : 7 000 dossiers lui ont été remis. Seuls 70 miracles ont été reconnus par l’Église. Avec les progrès de la science, le rythme des guérisons inexpliquées s’est beaucoup ralenti : 40 avant la Première Guerre mondiale, 4 depuis le début du millénaire qui, toutes, à l’exception d’une, concernent des rémissions datant d’avant 1989.

 

Pas de quoi entamer la foi des croyants. Au royaume des pieux, les aveugles sont rois. Prenons Jésus, par exemple. Les évangiles de Matthieu, de Marc et de Jean le décrivent marchant sur l’eau. Voici le récit qu’en tire Matthieu. «  Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : “C’est un fantôme.” Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt, Jésus leur parla : “Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur !” Pierre prit alors la parole : “Seigneur, si c’est bien Toi, ordonne-moi de venir vers Toi sur les eaux.” Jésus lui dit : “Viens !” Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : “Seigneur, sauve-moi !” Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : “Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?” »

 
 

Une sorte de syncrétisme religieux

L’océanographe Doron Nof (université d’État de Floride), le biostatisticien Ian McKeague (université de Columbia) et le météorologue Nathan Paldor (université hébraïque de Jérusalem) proposent une hypothèse crédible. Des vents conjugués à une température basse auraient gelé une partie de la mer de Galilée (aussi appelée lac de Tibériade). Marcher sur une surface solide devient immédiatement plus facile que sur l’eau. Nombre de croyants n’ont pas apprécié cette explication, fruit d’une « conspiration juive ». L’amour du prochain a aussi ses limites.

 

Un autre célèbre miracle réussit une sorte de syncrétisme religieux. Le fameux Déluge, d’où est notamment issue l’arche de Noé. Il aurait touché la Terre pendant quarante jours sans discontinuer. Il est rapporté dans la Genèse, mais également dans des récits sumériens, babyloniens et africains. En tout, treize variations de cet événement, survenu entre 3 300 et 3 500 ans avant notre ère, nous sont parvenues. En effet, en 1929, la découverte de vestiges sous une épaisse couche argileuse sur le site de la ville antique sumérienne d’Our a confirmé des inondations exceptionnelles. À Babylone, Shourouppak, Ourour, Kish, Tello, Ninive et Fara, d’autres fouilles ont mis au jour la même couche sédimentaire.

 

Or, en 1998, deux géologues américains, William Ryan et Walter Pitman, ont publié Noah’s Flood, renouvelant la perception du phénomène. Plus ancien (environ 12 000 ans) que ne le propagent les écrits, le Déluge n’est pas la conséquence de précipitations hors normes. En outre, ils ne le situent pas entre le Tigre et l’Euphrate, mais à l’emplacement de l’actuelle mer Noire, où une dépression abritait un grand lac d’eau douce. Un réchauffement climatique a mis fin à l’âge glaciaire, provoquant une montée du niveau de la mer. Cette cataracte d’eau salée s’est précipitée dans l’ancien lac avec une puissance équivalente à celle de 200 chutes du Niagara.

 
 

Moïse sous l’emprise de substances hallucinogènes

Autre récit biblique, celui du buisson ardent, par lequel Dieu s’adresse à Moïse. Colin Humphreys, physicien de l’université de Cambridge, avance l’hypothèse de la proximité de l’intense chaleur d’une fissure volcanique. Benny Shanon, professeur de psychologie à l’université hébraïque de Jérusalem, se montre encore plus terre à terre. Il attribue la voix de Dieu entendue par Moïse aux effets de substances hallucinogènes et présente les Dix Commandements et le son de la trompette provenant du mont Sinaï dans l’Exode comme une hallucination collective.
 

Quid de la séparation des eaux par Moïse lors de la fuite des Israélites d’Égypte ? Si des vents puissants et continus frappent la surface de l’eau dans le bon angle, ils peuvent parvenir à créer une sorte de lit peu profond, jusqu’à un niveau quasi inexistant. Des chercheurs de l’université du Colorado ont situé l’événement sur une lagune peu profonde du delta du Nil et non sur la mer Rouge.

 

L’islam n’est pas en reste. Les tenants du concordisme, autrement nommés les miracles scientifiques de l’islam, une théorie venue du wahhabisme, invoquent des versets du Coran qui annonceraient avant l’heure une foule de découvertes ultérieures. Ainsi, le verset 21:30 « Les mécréants ne voient-ils pas que les cieux et la Terre formaient à l’origine une masse compacte ? Nous les avons ensuite scindés » ferait allusion au big-bang. Une théorie dénoncée par la physicienne algérienne Faouzia Charfi, pour qui « le big-bang n’est pas la séparation des cieux et de la Terre, il n’est pas le produit de l’explosion d’un élément simple ». D’autres miracles fourniraient des explications sur le développement embryonnaire, la géologie ou le fonctionnement du cerveau.

 

L’astrophysicien Nidhal Guessoum dénonce les promoteurs de ces théories pour « leurs connaissances scientifiques superficielles, médiocres, erronées ou même obsolètes » et « leurs interprétations des versets coraniques souvent tendancieuses, pour ne pas dire tirées par les cheveux ». De fait, ces miracles sont devenus dans certains pays, telle la Turquie, une référence. Les thèses créationnistes présentes dans les manuels scolaires ont convaincu 75 % des lycéens de l’invalidité du modèle évolutionniste. Dans la Science voilée, Faouzia Charfi, qui raille ces « mirages scientifiques », s’élève aussi contre le « travail de sape des extrémistes religieux » avec la montée du concordisme dans les milieux académiques tunisiens. On l’a compris, en plus d’un instrument prosélyte, le miracle religieux est aussi une arme politique.

 
 

Michaël Mélinard
l’Humanité
 
 
 

*Gratitude R.

 
 

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