Tradition vieille de plusieurs siècles, la messe rouge des avocats, célébrée chaque année à Montréal depuis 1944 au moment de la rentrée judiciaire, n’aura plus lieu. L’événement n’aurait plus la faveur de la communauté juridique dans un État qui se veut de plus en plus laïque.

 

« C’est avec beaucoup de regrets que les soussignés vous annoncent que la messe rouge n’est plus », annoncent les membres de son comité organisateur dans une missive obtenue par Le Devoir. Sa fin a aussi été signalée aux membres du Barreau de Montréal dans une communication.

 

Cette messe catholique a été célébrée chaque année dans la chapelle du Sacré-Coeur de la basilique Notre-Dame de Montréal, sauf pour un petit hiatus de trois ans dans les années 1960. « Dans un Québec largement catholique pratiquant, le Barreau de Montréal, inspiré d’une tradition de droit civil remontant au XIIIe siècle, a instauré la messe rouge en 1944 », porteuse du décorum de la profession juridique, est-il écrit dans la lettre du comité organisateur.

 

Elle faisait partie des activités de la rentrée judiciaire, lors de laquelle la communauté juridique, juges et avocats, se rassemble avant la reprise à plein rythme des procès. Un comité indépendant a pris la relève de l’organisation de la messe en 1997.

 

Dans la lettre annonçant la fin de la cérémonie, le comité organisateur relève que « depuis toutes ces années, le Québec a changé ». « La société civile requiert la laïcité de ses institutions et de ses commettants », constate-t-on. Il note aussi le « désengagement » de la magistrature et des avocats, qui ne participent plus autant qu’auparavant à la messe.

 

« Bien que nous souhaitions cette messe inclusive, voire un moment de réflexion plus spirituel ou méditatif pour entamer notre année judiciaire, nos constats sont sans équivoque. La volonté du comité organisateur de maintenir la tradition se heurte à la réalité de la société québécoise d’aujourd’hui. »

 

Vu ce constat, et le fait qu’il indique avoir été informé par le Barreau de Montréal « du retrait complet de son soutien au comité » — jusque-là, le Barreau faisait la publicité de l’événement avec les autres activités de la rentrée judiciaire et préparait le livret de la messe —, le comité organisateur dit avoir dû prendre une décision difficile.

 
 

Un événement encore d’actualité ?

Le gouvernement québécois a adopté le projet de loi 21 en 2019, devenu à ce moment la Loi sur la laïcité de l’État. La mesure législative, actuellement contestée devant les tribunaux, interdit notamment aux procureurs de la Couronne et aux juges de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions.

 

Il est possible que certains membres de la magistrature aient été hésitants à se rendre à une telle messe vu leurs obligations de neutralité religieuse.

 

L’un des membres du comité organisateur, Me Jean Lozeau, précise toutefois au Devoir que des membres d’autres religions assistaient à l’événement, de même que des juges athées. Un carton d’invitation de la messe rouge de 2017 indiquait d’ailleurs : « Bienvenue à tous, de toute confession religieuse. » On peut de plus y lire l’origine de l’appellation de « messe rouge » : à l’ouverture du Haut Tribunal de Paris, au XIIIe siècle, « juges, avocats et procureurs portaient leurs toges d’apparat, dont la couleur rouge identifia cette célébration dans l’esprit populaire. »

 

Au Barreau de Montréal, on souligne que la décision de mettre fin à la messe a été celle de son comité organisateur, qui est indépendant. Organiser de tels événements ne fait pas partie de la mission de l’organisation, qui est d’abord et avant tout la protection du public, a indiqué sa directrice générale, Tamara Davis. Le soutien du Barreau à l’activité était d’ailleurs minime, limité à relayer l’information dans l’infolettre, dit-elle.

 

Le comité organisateur avait été invité à revoir ses stratégies de communication, mais mettre fin à la messe pour des questions de laïcité n’a pas fait partie de la réflexion ni des discussions, dit la directrice générale. « La messe est en déclin depuis des années. Il n’y a pas énormément de personnes qui se présentaient à cette activité-là. Ce n’est plus vraiment d’actualité », explique-t-elle en entrevue.

 

Mais « est-ce que, comme organisation, on considère que c’est le type d’événement qui doit continuer à graviter autour de la profession ? Je vous dirais : certainement pas ».

 

De son côté, Me Lozeau regrette la fin de la messe rouge. « C’est une cérémonie que je trouvais très belle. Je suis déçu qu’on annule une tradition aussi lointaine que le XIIe siècle parce qu’on ne peut plus afficher de caractère religieux. » L’activité a même accueilli des chanteurs et l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, rappelle l’avocat. « La messe était arrimée avec la profession juridique, et à ses devoirs et à ses responsabilités envers la société. »

 

 

Stéphanie Marin
Le Devoir