November 22, 2018
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PORT BLAIR – Le jeune Américain, mort sous les flèches de la tribu d’une île indienne interdite d’accès, souhaitait introduire le christianisme dans cette communauté coupée du monde moderne, selon ses derniers écrits révélés jeudi par des médias.
« Mon nom est John. Je vous aime et Jésus vous aime […] Voilà du poisson ! », a hurlé John Chau à deux autochtones armés, lors de sa première approche de l’île de North Sentinel, située dans la mer d’Andaman.
Le 16 novembre, ce ressortissant américain de 27 ans a péri en tentant d’entrer en contact avec le peuple de chasseurs-cueilleurs des Sentinelles, qui compterait 150 âmes. Ces derniers vivent en autarcie depuis des siècles sur la petite île, où l’État indien interdit quiconque de poser pied.
Ces dernières décennies, toutes les tentatives de contact du monde extérieur se sont heurtées à l’hostilité et à un rejet violent de la part de la communauté.
Le journal intime que la victime a tenu dans les jours et heures précédant sa mort brosse le portrait d’un voyageur qui se voyait comme un missionnaire chrétien dans cette dangereuse entreprise.
« Vous pensez peut-être que je suis fou de faire tout ça, mais je pense que ça vaut la peine d’apporter Jésus à ces gens », a écrit John Chau à sa famille, dans une ultime lettre rédigée le matin même de sa mort.
« Ce n’est pas en vain-les vies éternelles de cette tribu sont à portée de main et j’ai hâte de les voir adorer Dieu dans leur propre langage », dit-il en référence à des versets de l’Apocalypse (7, 9-10).
Peu après avoir écrit ces lignes, l’Américain a débarqué sur la plage de l’île. Il n’en est jamais revenu.
Les pêcheurs ancrés au large, qui l’avaient illégalement transporté jusqu’à North Sentinel, l’ont vu recevoir une volée de flèches, mais poursuivre sa marche. Les locaux ont ensuite passé une corde autour de son cou et traîné son corps.
Le journal de cet amateur de grand air et d’aventure, qui alimentait son compte Instagram d’images de ses périples dans la nature, révèle que ce projet était préparé de longue date et dans le secret, « au nom de Dieu ».
La veille de sa mort, il a approché à deux reprises les Sentinelles, selon le récit impossible à vérifier qu’il en fait.
La seconde, il parvient à donner à un Sentinelle, dont le visage est recouvert d’« une poudre jaunâtre », des cadeaux. Mais un enfant lui décoche une flèche qui se coince dans sa Bible. Il prend alors la fuite à la nage jusqu’au bateau de pêcheurs.
« JE NE VEUX PAS MOURIR ! », note-t-il en lettres capitales, visiblement sous le choc. « Je pourrais rentrer aux États-Unis, car rester ici semble signifier une mort certaine. »
« J’y retourne (sur l’île). Je vais prier pour que tout se passe bien », indiquent ses dernières lignes, datées de 6 h 20 du matin, le 16 novembre.
Casse-tête
En l’absence de preuves physiques de la mort de son fils, sa mère a déclaré au quotidien The Washington Post qu’elle le croyait toujours vivant. Son fondement ? « Mes prières. »
Cette affaire met les autorités indiennes face à un casse-tête unique : est-il possible de récupérer le corps sans provoquer un choc de civilisations ?
Si des étrangers se rendent sur l’île pour en exfiltrer la dépouille, ils rompraient en effet l’isolement volontaire des Sentinelles, avec toutes les conséquences anthropologiques et sanitaires qui pourraient s’ensuivre.
Vivant coupée du reste de l’humanité, cette peuplade n’aurait notamment pas un système immunitaire adapté aux agents infectieux apportés par des intrus.
Les responsables locaux ont dépêché un hélicoptère et un bateau pour essayer de déterminer de loin l’endroit où se trouve le cadavre de l’Américain.
« Nous avons maintenu une distance avec l’île et n’avons pas encore été en mesure de repérer le corps. Cela peut prendre plusieurs jours et missions de reconnaissance », a déclaré à l’AFP Dependra Pathak, le chef de la police régionale.
Les autorités ont fait appel à des anthropologues indiens et des spécialistes des tribus et de la forêt pour décider de la marche à suivre.
La police a ouvert une enquête pour meurtre et arrêté les pêcheurs ayant aidé l’Américain à se rendre sur North Sentinel. La loi indienne interdit de s’en approcher à moins de cinq kilomètres, et même de photographier ou filmer cette peuplade.
Selon l’ONG Survival International, les Sentinelles descendent des premières populations humaines à être parties d’Afrique et vivraient aux Andaman depuis 60 000 ans.
Agence France-Presse
La Presse