Québec — Même si le monastère des Ursulines sera bientôt classé monument historique par le ministère de la Culture, le problème de sa vocation future reste entier. Avec le vieillissement des religieuses qui y résident et l’augmentation des coûts de son entretien, son avenir suscite des inquiétudes grandissantes.


Le professeur Luc Noppen commence à trouver que le temps presse. Si le Québec doit avoir une priorité en patrimoine religieux, dit-il, c’est celle-là. «C’est l’ensemble patrimonial le plus important non seulement de Québec, mais aussi du Québec, du Canada et de l’Amérique du Nord», explique cet expert en patrimoine religieux.


Tapi en plein coeur du Vieux-Québec, ce monastère abrite une soixantaine de religieuses dont la majorité sont très âgées et dont plusieurs nécessitent des soins constants. Les visiteurs peuvent visiter le Musée des Ursulines (qui est actuellement en rénovation) et la chapelle, mais il ne s’agit que d’une partie de l’ensemble architectural fondé aux débuts de la colonie par Marie de l’Incarnation. Bref, le couvent est un joyau connu de peu de gens.


«C’est normal, c’est leur maison», explique M. Noppen, qui se décrit lui-même comme un ami des Ursulines pour avoir été leur voisin. «C’est comme si on parlait d’une vieille dame qui habite dans le Vieux-Québec. Elle ne va pas ouvrir sa porte à n’importe qui.»


Lors d’une visite spéciale la semaine dernière, Le Devoir a pu constater à quel point le couvent avait été bien entretenu par les religieuses. Le soleil d’après-midi plombait à travers les fenêtres de l’ancienne chapelle des soeurs cloîtrées lors de notre arrivée. Chacun de nos pas faisait craquer le vieux plancher de bois tandis qu’au deuxième étage, une soeur jouait sur un immense orgue. «Elle doit s’exercer pour la messe de dimanche», a chuchoté notre guide, soeur Rita Michaud, qui dirige le conseil d’administration du monastère.


Pointant le doigt vers le sol, soeur Michaud nous explique que «les missionnaires Jésuites ont marché là» et que Monseigneur de Laval et les martyrs canadiens comme Jean-de-Brébeuf «passaient par là pour aller à la messe».


Plus loin, le vieil escalier Saint-Augustin construit en 1686 tient encore sur des chevilles de bois. À l’époque, une poulie placée au centre permettait de monter au grenier le grain avec lequel certaines familles payaient les religieuses. Dans un grand âtre de l’aile nord, les soeurs ont même conservé des boulets de canon envoyés par les bateaux de l’amiral Phipps et du général Wolfe.


Aucune pièce n’est banale, comme nous le constatons à la buanderie. «C’est dans cette pièce que le gouverneur James Murray a signé le décret de la condamnation de la Corriveau.» Plus loin, la soeur nous montre l’âtre «où on nourrissait les Indiens». «Marie de l’Incarnation disait qu’il fallait d’abord les faire manger. Après, on pouvait leur parler du Seigneur…»



Monument classé


Le 27 mai, la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, a annoncé le classement du couvent comme monument historique. Cette démarche n’est pas une fin en soi, mais elle empêcherait par exemple les religieuses de vendre des sections du monastère sans l’appui du ministère de la Culture. Le classement permet en outre aux religieuses d’avoir accès au Fonds du patrimoine religieux. Or lors de notre visite du monastère, il y a quelques jours, soeur Michaud nous disait qu’il y avait apparemment peu d’argent disponible.


D’après nos renseignements, les Ursulines ne roulent pas sur l’or. En plus d’entretenir le monastère, elles doivent payer les frais d’une infirmerie privée qui compte de plus en plus de pensionnaires — les religieuses ayant fait le voeu de ne pas aller à l’hôpital. En 2003, il leur a notamment fallu faire construire un ascenseur pour transporter les civières. À cela s’ajoutent les salaires du personnel de l’infirmerie, mais aussi ceux de la soixantaine d’employés que compte le monastère.


Originaire du Nouveau-Brunswick, soeur Michaud est entrée au couvent comme novice en 1949 et a connu l’époque où certaines religieuses étaient cloîtrées. Cette tradition s’est éteinte vers Expo 67, mais on en trouve les vestiges partout dans le couvent: immenses grillages qui ceinturent l’église, installations pour recevoir les dépôts de l’extérieur, immense porte en bois qui ne s’ouvre que de l’intérieur, etc.


Or, lors de notre visite le 16 juin dernier, le couvent débordait d’activité alors que les élèves de l’école primaire s’amusaient dans la cour intérieure du couvent qui sert de cour de récréation.


Il y a quelques mois, l’école primaire a accepté de briser une tradition vieille de centaines d’années en accueillant des garçons, ce qui lui permettra, espère-t-elle, de garder l’école ouverte encore longtemps.


Or même dans ce cas de figure idéal, il leur faudra bien régler la question du monastère. Interrogée à ce propos, Soeur Michaud nous dit que les Ursulines ne savent pas de quoi sera fait leur avenir, contrairement aux Soeurs Augustines qui, elles, «sont en avance».


En effet, cette communauté qui a longtemps eu pour mission le soin des malades a décidé de transformer son couvent en centre de ressourcement pour les travailleurs de la santé et pour les proches des patients de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, juste à côté. Lancé il y a plus de dix ans, le projet devrait aboutir en 2014. Les gouvernements ont promis d’y investir 36 millions de dollars.


Soeur Michaud souhaite que les Ursulines trouvent, elles aussi, une vocation au couvent en lien avec «leur mission», l’enseignement, mais elle ignore quelle avenue pourrait être explorée. Le professeur Luc Noppen estime quant à lui que la solution doit passer par l’Université Laval. «On pourrait relocaliser de petites facultés qui ne requièrent pas trop d’aménagements comme celles de philosophie ou d’histoire ou encore en faire un centre de conférences haut de gamme», propose-t-il en citant en exemple le transfert au Petit Séminaire de Québec de la faculté d’architecture. «On ne peut quand même pas faire un musée de l’ensemble du site.»


Or l’Université a ses difficultés financières et ne voudra sûrement pas s’engager dans un tel projet sans un soutien financier substantiel du gouvernement, fait-il remarquer. Un engagement qui risque toutefois d’être difficile à faire accepter au public qui n’est pas au fait de l’existence du trésor… «Il va falloir convaincre l’ensemble des Québécois et des Canadiens que c’est un site important pour que les gouvernements puissent y investir des fonds publics.» En attendant, on peut lire sur le mur de l’aile ouest du couvent cette phrase à laquelle le contexte donne aujourd’hui un sens bien particulier… «Ce que vous voudrez avoir fait à l’heure de la mort, faites-le maintenant.»



Isabelle Porter
Le Devoir