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Elles avaient été tant espérées — et si souvent déclinées — que certains croyaient qu’elles ne viendraient jamais.

 

À l’issue d’une semaine riche en émotions au cours de laquelle des survivants des pensionnats pour Autochtones ont raconté au pape François leur douleur et leur déracinement, le souverain pontife a prononcé vendredi au Vatican les paroles tant attendues : « Je demande le pardon de Dieu et je veux vous dire de tout mon cœur : je suis vraiment désolé. »

 

Exprimant sa « honte » et son « indignation », le pape François a dit reconnaître la responsabilité de l’Église catholique « dans les abus et le manque de respect envers votre identité, votre culture et même vos valeurs spirituelles ».

 

Devant un parterre de quelque 200 délégués autochtones, le chef de l’Église catholique a sollicité la rédemption des Autochtones du Canada. « Je me joins à mes frères, les évêques canadiens, pour demander votre pardon », a déclaré solennellement le souverain pontife dans la Sala Clementina du Palais apostolique.

 

Des paroles qui ont été accueillies par les pleurs de plusieurs survivants. « Nous acceptons ces excuses comme un geste de bonne foi », a mentionné le chef Gerald Antoine, qui dirige la délégation de l’Assemblée des Premières Nations à Rome.

 

Celui-ci a dit espérer que le pape François réitérera ses excuses directement aux communautés autochtones lors de son voyage au Canada prévu dans les prochains mois. « En tant qu’anciens élèves de ces pensionnats, nous connaissons la destruction et les traumatismes qui ont été causés par cet effort coordonné pour commettre un génocide », a ajouté le chef Antoine.

 

La Commission de vérité et réconciliation a reconnu que le système des pensionnats s’inscrivait à l’intérieur d’une politique de « génocide culturel » des peuples autochtones qui visait à les « assimiler contre leur gré à la société canadienne ». Les pensionnats pour Autochtones ont existé au Canada du XVIIe siècle jusqu’en 1996, date à laquelle le dernier établissement, en Saskatchewan, a fermé ses portes.

 

Plus de 150 000 enfants autochtones ont été placés de force dans ces pensionnats, loin de leur famille et de leur communauté. Il leur était interdit de parler leur langue et de faire vivre leur culture. Plusieurs de ces enfants ont subi des sévices physiques et sexuels aux mains de membres du clergé.

 

 

Des excuses historiques, mais tardives

« Les excuses que l’on a reçues aujourd’hui sont historiques et […] nous ouvrent la porte pour continuer d’avancer dans notre chemin de guérison », a souligné Cassidy Caron, présidente du Ralliement national des Métis. Mais « beaucoup d’actions doivent encore être posées » pour concrétiser la réconciliation entre les peuples autochtones et l’Église catholique, a-t-elle ajouté.

 

Parmi celles-ci : l’accès aux archives des communautés religieuses qui administraient les pensionnats et le versement des sommes promises par l’Église catholique pour la guérison des communautés.

 

Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, n’a pas manqué de souligner que bien que les excuses du pape soient sincères et emplies d’empathie, celles-ci ont été prononcées « tardivement ». Dès 2015, la Commission de vérité et réconciliation recommandait que le Vatican reconnaisse officiellement sa responsabilité pour les torts causés aux Autochtones.

 

« Ce sont des excuses qui assurément vont faire surgir des émotions et des perceptions différentes chez les survivants des pensionnats et les survivants intergénérationnels », a déclaré le chef inuit.

 

Pour Emma Anderson, professeure à l’Université d’Ottawa spécialisée dans la relation entre les Autochtones et l’Église catholique, cette lenteur est probablement attribuable aux évêques canadiens. « Il y a eu un changement dans la position des évêques canadiens après la découverte des tombes anonymes à Kamloops [en mai dernier], note-t-elle. Mais même après cette découverte, ça leur a pris des mois pour vraiment comprendre que c’était un événement extrêmement choquant pour les Autochtones et pour tous les Canadiens. »

 

En septembre, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) a présenté ses excuses officielles aux peuples autochtones pour « la souffrance vécue dans les pensionnats », puis a invité le pape François à venir au Canada. « Ça leur a pris [aux autorités religieuses] beaucoup de temps pour se rendre compte qu’ils devaient poser des actions », relève Emma Anderson.

 
 

« Une vraie communication »

« Ce temps [depuis 2015], il me semble qu’il n’a pas été perdu », a rétorqué Mgr Raymond Poisson, président de la CECC, qui se trouvait au Vatican vendredi.

 

Il avance que ces années ont permis aux représentants autochtones et à ceux de l’Église catholique de mieux se connaître et d’apprendre à travailler ensemble. « Ce que nous avons vécu ce matin comme message avec le Saint-Père [les excuses] a d’autant plus de valeur qu’il a été fait à partir d’expériences racontées par des survivants, des aînés et des jeunes qui sont venus le visiter », a-t-il poursuivi.

 

Des délégués métis et inuits avaient rencontré le pape lundi, puis des délégués des Premières Nations leur avaient emboîté le pas jeudi.

 

« Il semble y avoir eu une vraie communication entre la délégation autochtone et le pape, a expliqué Emma Anderson. Ils se sont sentis écoutés et compris, ce qui a donné lieu à des excuses émotives et sans retenue. »

 

Dans une déclaration écrite, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a souligné que les communautés autochtones attendaient ces excuses « depuis des décennies » et qu’il s’agissait d’« un pas en avant dans la reconnaissance de la vérité ». « L’histoire du Canada sera à jamais entachée par la tragique réalité du système des pensionnats », a-t-il ajouté.

 

 

Magdaline Boutros
Le Devoir

 
 

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