Avant même que l’on connaisse les résultats des élections ce soir (l’article a été publié le 2 mai 2011), le Nouveau Parti démocratique aura réussi une percée historique. Non seulement le NPD a-t-il secoué l’échiquier politique au Québec et au Canada, mais il s’est aussi imposé comme force d’espoir dans un pays de moins en moins religieux. Son fondateur, Tommy Douglas, un pasteur baptiste, aura souri dans sa tombe. Comble d’ironie, le glas sonne depuis pour le Parti libéral, sinon pour sa célèbre philosophie: «On ne gagne pas une élection avec des prières.»


Dans la campagne qui s’achève, nul enjeu explicitement religieux n’a pris la vedette. Aucun parti non plus n’a affiché d’affiliation confessionnelle. À peine quelques incidents de nature éthique auront-ils distrait les médias avant que les sondages et leurs surprises n’accaparent l’actualité politique. Pourtant, on «compte» encore les votes religieux, on cultive les minorités où la religion est toujours importante. Sans occuper la place publique comme aux États-Unis, cet électorat détiendrait un pouvoir non négligeable.


Certains commentateurs s’interrogent en voyant des adhérents de certaines confessions tenter de faire passer leurs valeurs dans le discours politique. Plus encore, dit-on, les candidats cultivent des minorités dont les membres voteraient selon les mots d’ordre de leurs leaders. Même là où ces électeurs ne votent pas en bloc, quand une élection se joue entre plusieurs candidats, ces suffrages pourraient décider du résultat.


Dans le Canada d’autrefois, quelques chefs religieux incitaient à voter libéral ou conservateur. Comme on disait alors, «le ciel est bleu et l’enfer est rouge». Les quelques évêques qui s’aventuraient à le faire risquaient de semer la bisbille au sein du clergé. Un bon curé, au contraire, s’abstenait de prendre parti, sa paroisse comptant des partisans de l’un et l’autre camp. Et quand en 1956 des abbés dénoncèrent les moeurs électorales, ce fut après la campagne de Maurice Duplessis, non avant, et encore moins pendant.


Une exception: le candidat communiste. À l’époque, un maire de Trois-Rivières, J.-A. Mongrain, ayant eu l’audace de se porter candidat libéral contre le chef de l’Union nationale, la rumeur courut que cet enseignant défroqué était — dites-le à voix basse — «communiste». Dans Sainte-Marguerite, l’épicier de la paroisse, libéral mais bon catholique, fit venir le vicaire dans le backstore. «Est-ce vrai?», lui demanda-t-il. «On ne le sait pas, répondit le représentant de Dieu, mais il n’y a pas de risque à prendre.»


De nos jours, au Canada, la religion et la politique logent à part. Si un candidat de foi hindoue, par exemple, ou sikhe, ou même juive fait l’objet de suspicion, ce n’est pas pour ses croyances, mais plutôt pour quelque liaison étrangère. Aux États-Unis, où un Barack Obama doit exhiber son extrait de naissance, il n’est pas bon ces temps-ci d’être un candidat de foi musulmane, mais les chefs politiques américains affichent volontiers leur adhésion religieuse. Or, il en va autrement ici, comme le confirme la discrétion des leaders actuels.


L’histoire explique cette attitude. À l’époque où protestants et catholiques étaient souvent hostiles les uns aux autres, les conflits de religion étaient une menace à la cohésion politique du pays, sinon à la paix sociale. Le parti qui aurait courtisé ouvertement les catholiques du Québec risquait de perdre des votes en Ontario, et vice versa. Les leaders devaient donc, pour prendre le pouvoir, surmonter l’embûche confessionnelle. C’est ce qui vaut au Canada actuel de chérir officiellement sa tolérance.


Par contre, le pays ayant été fondé, dirigé et façonné par des Européens de culture chrétienne, il n’est pas mal vu pour les partis et leurs leaders de visiter les communautés d’autres cultures venues d’Asie ou du Moyen-Orient. La reconnaissance qui est ainsi donnée à leur apport à la société et à la vie nationale fait partie de la politique d’accueil envers les immigrants. Certes, longtemps les libéraux surent en tirer des avantages partisans. Que les autres partis en fassent autant de nos jours n’est toutefois pas scandaleux.


Le problème est ailleurs. Les électeurs qui vendaient autrefois leur vote pour un dix dollars ou une caisse de bière attiraient, certes, la pitié. Et les organisateurs d’élection qui pratiquaient ce trafic ne s’en vantaient pas. Aujourd’hui, l’achat des électorats se fait à coup de subventions aux entreprises régionales. Les circonscriptions acquises ou réfractaires sont laissées de côté. On ne gagne ni ne perd d’élection sur la foi de vraies politiques. Et c’est en toute honnêteté que se pratique cette corruption à ciel ouvert.


Paradoxalement, maintes organisations religieuses qui devraient combattre cette corruption n’y voient pas d’injustice. Certaines sont encore à s’infiltrer dans les coulisses du pouvoir dans l’espoir d’y faire prévaloir des privilèges ou des dogmes dont la société actuelle ne veut plus. Curieusement, s’il faut en croire les analyses, les fidèles les plus ardents auraient tendance à appuyer le Parti conservateur, alors que leurs Églises en réprouvent les mesures répressives à l’endroit des délinquants de tous âges.


En même temps, le Parti libéral qui avait, pour rester au pouvoir, emprunté aux conservateurs de telles mesures l’aura finalement fait en vain. Pour se rapprocher à son tour du pouvoir, même le NPD n’a pas craint, dans son programme électoral, d’inventer quelques mesures répressives. La balance du pouvoir tiendrait-elle à une philosophie carcérale? Ou à l’influence d’une ou deux minorités?


En tout cas, à voir le changement massif qui s’annonce aux urnes, il faut croire que les citoyens du pays recherchent une autre voie. Quelles que soient ses croyances, c’est le temps, cette fois, d’aller voter!



Jean-Claude Leclerc enseignant en journalisme à l’Université de Montréal
Le Devoir