Les Québécois savent faire le bilan de leur passé. L’ont-ils assez prouvé lors de la Révolution tranquille? Dans le patrimoine d’une culture, il faut comprendre que certains éléments ont sans doute eu leur utilité dans un contexte bien précis. Ce n’est nullement une raison pour s’y accrocher. La revanche des berceaux a contribué à bâtir le peuple québécois. Oui, j’en conviens. Mais serait-ce une raison valable pour exiger que chaque femme de notre pays s’astreigne encore à procréer dix ou douze enfants?


Une chose fait partie de notre patrimoine, et on la passe trop souvent sous silence. Le Québécois possède, au plus profond de son être, le goût du changement. Le goût de l’adaptation à la nouveauté, sans lequel aucune société ne peut espérer survivre. Ce principe fondamental se compose de deux réalités inséparables. Premièrement, la capacité de renoncer sans regret à tout principe périmé. Deuxièmement, l’ouverture à toute nouvelle attitude sociale qui viendra remplacer avantageusement celles, désuètes, qu’on a eu le bon sens de laisser tomber.


Chaque progrès social se distingue, à son tour, par deux tendances. La première, nostalgique, passéiste et timorée, se caractérise par un accrochement inconditionnel au patrimoine. L’autre, audacieuse, n’hésite pas à secouer ses vieilles poussières pour faire bon accueil à la nouveauté. Les deux s’équilibrent, ce qui nous met à l’abri des outrances, mais la première devra, tôt ou tard, céder la place.


On cite souvent la Révolution française comme exemple de changement social. Excellent exemple, car cette révolution, la seule à ma connaissance, a tout remis en question. Tout, y compris la révolution elle-même! Et qu’a-t-elle fait de la religion, la Révolution? Elle l’a simplement remise à sa place. La place de l’Église catholique est… dans les églises. La religion est-elle morte en France? Pas du tout. Elle s’occupe de ses affaires dans un état laïc qui ne lui permet aucune ingérence dans la vie publique. Et l’état Laïc ne se permet aucun droit de regard dans la religion. Chacun chez soi, et l’harmonie règne.


La malhonnêteté fondamentale des religions en général est de confondre intentionnellement culture et foi. Si l’on veut adopter le judaïsme, il faut commencer par apprendre assez d’hébreu pour comprendre les offices, manger casher et aller s’établir dans un quartier juif. Pour devenir musulman, il faut apprendre l’arabe, car le saint Coran ne peut se traduire. Dans le tiers-monde d’hier, les missionnaires chrétiens maniaient outrageusement le chantage colonial: je t’apporte des soins de santé, des écoles, et la religion. À prendre globalement ou à laisser.


Franchement, ne pourrait-on pas évoluer un peu? On s’oppose, scandalisés, au port d’un voile ou d’un kirpan (lequel, soit dit en passant, ne coupe pas plus que les médailles pieuses que certains portent en sautoir) et on défend bec et ongles le crucifix dans les lieux aussi publics que le Parlement.


Moi, l’athée honnête et convaincu, savez-vous l’impression que me font vos crucifix? Si c’était une simple croix, ça ne me dérangerait pas. Mais le réalisme horrible de certains de ces symboles me donne le frisson. L’image d’un homme torturé et cloué sur deux bouts de bois me donne l’impression de voir l’emblème d’un gigantesque mouvement masochiste.


Et ça me dérange. Parce que moi, je n’en ai pas tellement l’habitude. Alors, essayez de comprendre la surprise d’un musulman ou d’un sikh qui se fait préférer cette image des plus violentes à un bout de voile ou à un inoffensif kirpan.


On veut combattre les symboles religieux? D’accord. Mais qu’on les supprime tous!



Yves Steinmetz
La Voix de l’Est