Alors que le Québec promet pour l’automne une Charte sur la laïcité, la religion catholique cherche à reprendre le terrain qu’elle a perdu dans une vague de déconfessionnalisation. Des garderies aux écoles, jadis lieux de catéchèse désormais exempts d’apprentissage religieux, cette reconquête nouveau genre crée des remous.


Les centres de la petite enfance (CPE), qui souhaitent s’installer dans les églises, sont parmi les premiers à faire les frais de la réaffirmation de l’Église catholique. Celle-ci semble bouder les organismes laïcs, préférant plutôt servir ses propres œuvres.


C’est que le moratoire sur la vente ou la location du patrimoine religieux imposé à l’automne dernier par le nouvel archevêque de Montréal, Christian Lépine, a semé l’émoi chez certains directeurs de CPE. Répondant à l’appel d’offres de Québec, qui fait miroiter 15 000 nouvelles places d’ici 2016, ces directeurs avaient développé des projets de CPE et obtenu des lettres d’appui de la fabrique pour louer ou acheter l’église, projets qui sont maintenant compromis.


Selon des sources bien au fait du dossier, le diocèse évoquerait même la possibilité de créer un réseau de garderies catholiques. Mais avant toute chose, il aurait engagé une firme d’ingénieurs pour évaluer l’état des bâtiments dont les réparations s’annoncent chères. Au moins 70 millions seraient dégagés pour restaurer certaines églises, nous disent ces mêmes sources.


Sans vouloir confirmer le projet de garderie, l’adjoint au vicaire général, Alain Walhin, ne nie toutefois pas les intentions du diocèse de mettre un frein à la « dilapidation » du patrimoine religieux et de revenir aux œuvres catholiques. Ne serait-ce que pour réhabiliter la crédibilité de cette confession, croit-il. « Regardez les nouvelles, on parle d’écoles juives, musulmanes, qui sont obligées de suivre le programme du ministère, mais qui donnent des cours de religion qui dépassent le nombre d’heures permis. Le gouvernement ne fait rien, mais les écoles catholiques, on se fait taper dessus. C’est deux poids, deux mesures », dit M. Walhin.


Thierry Lemoine, directeur du CPE Parminou à Verdun, a été surpris du « virage à 180 degrés » du diocèse. Voilà plusieurs années qu’il entend créer une 2e installation de 80 places et il avait réussi à obtenir l’appui du curé de l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, de la paroisse de Côte-Saint-Paul. Ce nouveau projet de CPE avait finalement été accepté par le ministère de la Famille à l’automne dernier, mais a été mis sur la glace par le diocèse. Des négociations sont actuellement en cours. « L’an dernier, l’archevêché appuyait les demandes pour les places en CPE, et un an plus tard, plus rien », déplore M. Lemoine.


En rogne, les directeurs de ces nouveaux CPE en devenir déplorent le manque de transparence du diocèse. Certains n’ont appris que par la bande que leur projet était en état d’arrêt. Mais ce qui a le plus choqué, ce sont les raisons qu’on leur a fournies lorsqu’ils ont posé des questions, ont-ils confié au Devoir. « On m’a dit que cette décision tenait à l’intention de l’archevêché de favoriser les garderies catholiques dans les églises et les presbytères, a indiqué M. Lemoine. Les bras me sont tombés quand j’ai appris ça. »



Exit les CPE laïcs


Depuis 2011, une directive du ministère de la Famille interdit à toute garderie subventionnée de tenir des « activités ayant pour objectif l’apprentissage d’une croyance, d’un dogme ou de la pratique d’une religion spécifique ». Jusqu’ici, huit plaintes ont été reçues en vertu de cette règle, qui est par ailleurs contestée en cour par une coalition d’organismes notamment juifs et catholiques.


Devant cette directive qui laïcise, les CPE n’ont pas leur place dans les églises, conclut M. Walhin. « Les CPE sont subventionnés par le gouvernement, qui est contre les églises. Ils veulent louer les presbytères et les sous-sols d’église, mais il n’est pas question de nommer Jésus, et il faut enlever les crucifix partout. […] D’un autre côté, dans les écoles, on oblige les enfants à ne pas manger de porc parce qu’il y a des musulmans ou des juifs et que c’est contre religion. Et nous, on est les dindons de la farce, a lancé M. Walhin. C’est pas parce qu’on arrête les projets qu’on est contre les CPE. Leur but n’est pas mauvais et c’est important, mais si vous voulez louer nos églises, on n’enlèvera pas le clocher juste pour vous faire plaisir. J’aime mieux perdre un revenu mensuel que de faire rire de nous. »


Aucun CPE ou organisme non catholique qui occupe déjà un lieu de culte ne sera mis à la porte, mais désormais, les églises aux catholiques d’abord. « On va commencer par recycler [nos lieux] en église avant de commencer à les distribuer à droite et à gauche. On va commencer par voir à l’intérieur qui pourrait les utiliser. C’est la solution facile si on s’en débarrasse. Ça n’apporte pas d’argent à long terme », souligne M. Walhin.


De nombreuses communautés culturelles de confession catholique, comme certains Polonais, Coréens, Italiens, Philippins et autres, n’ont pas de clocher. « Les églises pourraient demeurer sous la juridiction de Mgr Lépine. Ils sont croyants, souvent locataires, pourquoi ne pas leur donner une église pour qu’ils soient chez eux ? »


Cela n’empêchera pas toutefois que certains bâtiments pourront être cédés après l’inventaire, note M. Walhin. « L’idée pour l’instant, c’est de voir à ce qu’il y ait des lieux de culte accessibles à tout le monde. L’archevêque dit que ce n’est pas le nombre de personnes qui pratiquent [qui importe], mais le nombre qui pourrait pratiquer. »



Grogne et déception


Pour Thierry Lemoine, une garderie s’inscrit pourtant parfaitement dans la vocation communautaire d’une paroisse. « C’est une bonne deuxième vie pour une église que d’accueillir des enfants, souligne-t-il. Je ne comprends pas. » Les autres terrains disponibles sont souvent hors de prix, les promoteurs immobiliers faisant monter les enchères.


Il n’est pas le seul à être ainsi dépité. Le Devoir a été contacté par plusieurs autres directeurs de futurs CPE qui avaient l’appui d’une paroisse et qui essuient maintenant un refus. Selon nos informations, au moins sept projets de CPE, dont quatre qui avaient déjà été autorisés et obtenu les places du ministère de la Famille, sont ainsi stoppés par le moratoire décrété par le diocèse. Certains avaient même déjà engagé des sommes pour des avis de spécialistes et songent à poursuivre l’archevêché de Montréal.


« On travaille depuis janvier sur un projet ayant entre 60 et 80 places. C’était un clé en main et on avait de l’avance parce que je ne voulais pas me faire devancer, raconte un directeur qui souhaite garder l’anonymat. C’est plate parce qu’on propose de signer un bail pour plusieurs années et d’investir. Ça assurait une pérennité à l’église, qui était contente que quelqu’un occupe le bâtiment et en prenne soin. »


Simon Piotte, directeur du CPE Les Gardelunes situé dans Rosemont–Petite-Patrie, déplore la difficulté de trouver des sites dans le secteur. « On se fait damer le pion par des promoteurs qui veulent construire des condos. Pour nous, l’église ou le presbytère est un espace accessible, a-t-il soutenu, indiquant qu’il lorgnait la paroisse Saint-Gégoire-le-Grand. On entend que tout le monde veut des CPE, mais personne ne veut faciliter leur intégration dans le tissu du quartier. »


Plusieurs employés des fabriques qui ont déployé beaucoup d’efforts pour que se réalisent ces projets de CPE sont tout aussi mécontents de la situation. « C’est un partenariat gagnant-gagnant », a dit l’un d’entre eux au Devoir. Les fabriques en ont déjà plein les bras, faire affaire avec des CPE est la meilleure solution, croit-il. « Mais là, ce sont des millions qu’on va gaspiller parce que l’Église ferme la porte. »


Alain Walhin soutient que le diocèse assumera ses responsabilités dans le cas où les fabriques seraient allées trop loin dans leur engagement envers les CPE. Mais il n’a pas à intervenir en faveur des CPE qui sont allés de l’avant avec des projets sans même obtenir l’autorisation de l’archevêché, qui a pourtant pleine autorité sur le patrimoine religieux. « Quand c’est la faute du diocèse, oui, on va assumer. Mais dans certains cas, des places ont été obtenues dans des églises qui n’étaient même pas à vendre, nuance-t-il. Il ne faut pas croire tout ce qui est dit. »



Lisa-Marie Gervais
Le Devoir