Francesco Lepore est né dans une petite ville au nord de Naples au sein d’une famille catholique peu pratiquante. Lui-même a ressenti «très tôt» une «profonde attirance religieuse». Il est devenu prêtre à 24 ans, le 13 mai 2000, «au moment du jubilé et de la World Gay Pride», précise-t-il.

 

Signor Lepore a toujours su qu’il était homosexuel. Il a tout de même longtemps fait le choix de la mortification et de l’ascèse, réussissant à rester chaste pendant cinq ans, «sans même me masturber» précise-t-il. Après, le jeune homme séduisant, sexy même, a commencé une double vie, prêtre de jour, gai de nuit.

 

Il a poussé les études jusqu’à devenir en 2003 traducteur officiel du Vatican en latin, poste de la prestigieuse secrétairerie d’État du palais apostolique. C’est là, au sommet, qu’il a pu constater l’ampleur du système rose qui, selon lui, fait de l’homosexualité non pas l’exception, mais la norme vaticane.

 

Dans quelle proportion, toutes tendances confondues, plus ou moins assumées ? «Je pense que le pourcentage est très élevé, dit-il. Je dirais autour de 80 %. On dit que trois des cinq derniers papes étaient homophiles, certains de leurs assistants et secrétaires d’État aussi. La majorité des cardinaux et des évêques de la curie également.»

 

L’entretien choc, à visière levée — M. Lepore a défroqué —, est publié dans le premier des 24 gros chapitres du livre-événement Sodoma. Enquête au coeur du Vatican du journaliste et sociologue français Frédéric Martel. L’ouvrage sur l’homosexualité généralisée du clergé catholique est publié aujourd’hui en sept langues et lancé dans 20 pays.

 
 

L’auteur de Sodoma, Frédéric Martel, nous parle de son livre

 

 
 

50 nuances de gais

 

En entrevue, M. Martel ne reprend pas le chiffre du huit sur dix de Francesco Lepore et insiste pour l’attribuer à sa source majeure. «Je le cite et je continuerai à le citer là-dessus, mais ce n’est que sa parole», dit l’auteur joint à Rome par Le Devoir à 24 heures du lancement mondial.

 

Son livre affirme pourtant de plusieurs manières l’ampleur du phénomène. «Le Vatican a une communauté homosexuelle parmi les plus élevées au monde et je doute que, même dans le Castro de San Francisco, ce quartier gay emblématique, aujourd’hui plus mixte, il y ait autant d’homos !» écrit-il. Il ajoute plus loin que «l’Église est devenue sociologiquement homosexuelle».

 

Cette réalité paraît tellement assumée que le clergé a tout un vocabulaire pour la décrire. Le livre ouvre sur un archevêque de la curie romaine qui chuchote à l’auteur Frédéric Martel : «Il est de la paroisse», en parlant d’un cardinal, ancien ministre de Jean-Paul II. Un prêtre cité a utilisé l’expression très disco queen «We are family !».

 

Le journaliste d’enquête retient donc le nom Sodoma (une autre appellation contrôlée empruntée à un prêtre qui lui lance en italien : «Benvenuto a Sodoma !») pour décrire ce village global gai qu’est le Vatican.

 

Le cas Lepore permet d’exposer une première règle d’or de ce monde : «Le sacerdoce a longtemps été l’échappatoire idéale pour les jeunes homosexuels. L’homosexualité est une clé de leur vocation», résume le livre. La justesse de la règle se confirme au chapitre 19 consacré aux séminaristes où un futur prêtre explique que, dans son séminaire, sur les vingt aspirants sept sont ouvertement gais et six autres ont «des tendances».

 

La deuxième règle de base, également exposée par le latiniste, dit que «l’homosexualité s’étend à mesure que l’on s’approche du Saint des Saints : il y a de plus en plus d’homosexuels lorsqu’on monte dans la hiérarchie».

 

Une troisième règle, le «code du placard», consiste à «tolérer l’homosexualité, à en jouir le cas échéant, mais à la conserver secrète dans tous les cas». La seule ligne à ne pas franchir est l’activisme et la visibilité. La discrétion est de mise au sein de la paroisse.

 
 

Le timing

 

Comme par hasard, s’ouvre jeudi au Vatican la rencontre des présidents de conférences épiscopales sur la protection des mineurs convoquée par le pape François. Cette rencontre sur les scandales sexuels est qualifiée par plusieurs vaticanistes comme le «sommet de la dernière chance».

 

Frédéric Martel rejette le lien entre ceci et cela. La publication du brûlot, initialement prévue en septembre, a été retardée pour des raisons techniques, notamment par le retard des traductions.

 

Surtout, souligne-t-il deux fois plutôt qu’une, il ne faut pas confondre le sujet de son livre (l’homosexualité des prêtres ou des évêques) et le sujet du sommet (les agressions sexuelles). «Les abus sexuels n’ont aucun rapport avec l’homosexualité», répète-t-il en entrevue.

 

En fait, il y a bel et bien un lien. Frédéric Martel montre que l’homosexualité introduit une culture du secret dans l’Église qui permet elle-même ensuite de maintenir le silence sur les crimes et les abus sexuels.

 

«La clé du cover-up est liée à l’homosexualité très massive des évêques qui protègent des prêtres, ajoute-t-il en entrevue. Quand des évêques protègent des prêtres, ce n’est pas seulement pour protéger ces prêtres qui ont commis des abus : c’est d’abord et avant tout pour se protéger eux-mêmes, parce qu’ils sont terrorisés [par la perspective] d’un scandale, de la médiatisation, d’un procès.»

 

L’ouvrage veut finalement exposer l’homosexualité et son corollaire, l’homophobie, comme clé de lecture de l’histoire du Saint-Siège depuis des décennies. C’est cette condition en porte-à-faux qui expliquerait en partie l’acharnement antipréservatif au moment de la lutte contre le sida, la misogynie insondable de l’Église, la démission de Benoit XVI ou la guerre larvée contre François.

 

«Voici une nouvelle règle de Sodoma, écrit M. Martel. Plus un prélat est véhément contre les gays, plus son obsession homophobe est forte, plus il y a de chances d’être insincère et sa véhémence de nous cacher quelque chose.»

 

Le secret est éventé. Reste à voir comment la hiérarchie réunie à Rome en ce moment y réagira.

 

«Je suis persuadé que l’organisation va devoir faire son aggiornamento, conclut M. Martel en entrevue. Je dirais même un aggiornamento intégral. Parce que de deux choses l’une : ou bien j’ai tort ou bien j’ai raison. Un théologien important, Timothy Radcliffe, qui a été maître des dominicains, a écrit un article à la fois critique et par certains aspects très positif sur mon livre. Il dit que si seulement la moitié de ce que j’écris est vraie, cela appelle à une remise en cause fondamentale.»




Stéphane Baillargeon
Le Devoir