La mort a fait son temps

photo ÉTIENNE DIONNE

photo ÉTIENNE DIONNE


Urnes funéraires abandonnées, nouveaux cultes voués aux arbres, incinérations massives plutôt qu’inhumations : les rites funéraires changent au Québec. Ce n’est pas sans motif que le gouvernement tente d’actualiser dans une loi ces nouvelles pratiques qui se conjuguent au commerce florissant de la mort.


« La loi qui régit notre pratique date du début des années 1970. Les choses ont beaucoup changé depuis 40 ans », explique Denis Desrochers, président de la Corporation des thanatologues du Québec. On n’en est plus au temps des croque-morts, mais « il n’y a aucun cadre légal de la pratique professionnelle. Il y a des dérapages possibles. […] On va se le dire : il y en a des bons et des moins bons. Il faut que quelqu’un nous supervise pour que nous soyons intègres. »


Mais jusqu’où en balisant va-t-on banaliser la mort ? se demande l’anthropologue Luce Des Aulniers. « La maîtrise technique n’est pas la maîtrise symbolique. On veut mettre la mort à sa place. Mais ce n’est pas forcément une façon de pacifier la mort. […] Et qui va se mettre à contrôler toutes les dispositions de la loi ? »


La nouvelle loi prévoit ainsi un encadrement plus strict de la pratique de la dispersion des cendres. Mais qui va vérifier que les cendres ne sont pas dispersées dans « un endroit inapproprié » et, surtout, qui en jugera ?


Le projet de loi 66 modifie de façon importante plusieurs lois qui touchent de près à la disposition des cadavres, y compris des cendres, au travail de ceux qui en ont la charge et à la gestion des cimetières. Les permis de pratique en matière funéraire seraient désormais disponibles pour des entreprises plutôt que des individus.


Les thanatologues se réjouissent pour leur part de la volonté d’unifier la loi dans un seul document d’actualité, bien qu’il semble au président de leur corporation que des incohérences soient encore présentes.


Denis Desrochers ne comprend pas par exemple pourquoi il serait possible pour les citoyens de disposer des cendres à peu près à leur guise alors que les entreprises funéraires seraient limitées dans leurs pratiques. « Les gens vont pouvoir faire ce qu’ils veulent avec les cendres et moi, je vais devoir acheter un terrain au cimetière. C’est un des éléments trop encadrants de cette loi. Il faudrait des investissements massifs. C’est peu faisable ! »


Certains thanatologues s’inquiètent plus précisément des modalités de conservation des corps et de leur enterrement. Le projet de loi n’offrirait pas assez de balises encore quant à la durée pendant laquelle un corps peut être conservé ou la manière dont il convient de l’ensevelir.



Horrifiée


Pour Jocelyne Dallaire-Légaré, présidente de l’entreprise Alfred Dallaire Memoria, la loi que tente d’adopter le gouvernement libéral pour réformer les pratiques funéraires se trouve déjà en retard par rapport à la réalité. Elle contient à son sens nombre d’irritants. Ses mots tombent : « Je trouve ça abject. Je suis horrifiée. »


Le projet de loi 66 marque ni plus ni moins selon elle le retour du religieux refoulé par la porte d’en arrière. « Il y a une concurrence entre les cimetières et les entreprises funéraires. Il faut être aveugle pour ne pas le voir. » Or la nouvelle loi, à son sens, favorise indûment les cimetières. « À la fin des contrats, moi, je devrais déposer les cendres non réclamées au cimetière ? Je dois en conséquence acheter des emplacements dans un cimetière ? Les gens veulent désormais que les cendres de leurs proches soient dispersées dans la forêt, dans un lieu calme, qui leur tient à coeur. Donc, la nouvelle loi apparaît déjà rétrograde. »


La présidente d’Alfred Dallaire Memoria pointe aussi du doigt le fait que les cendres devraient être présentées dans un contenant rigide. « Pourquoi ? Si ça se dégrade, c’est mieux pour tout le monde. On offre désormais une urne en coton biodégradable. Il existe des urnes botaniques. En quoi ce n’est pas bien ? »


Il existe une tendance forte, explique l’anthropologue Luce Des Aulniers, en faveur de préoccupations qui se veulent écologiques. « Mais toute disposition des restes humains crée de la pollution, ne serait-ce que lorsqu’on les fait brûler. » Il est clair selon elle que cela s’attache aussi à des enjeux d’ordre commercial.


À Prévost, dans les Laurentides, on trouve Les Sentiers, une entreprise funéraire qui affirme opérer depuis 2009 « le tout premier cimetière à faible impact écologique ». Selon John Tittel, un des cofondateurs, il s’agissait d’« ajouter à l’expérience » de la mort dans un lieu « très design qui fait plus spa que cimetière ».


« On a essayé de faire le contraire de ce que les gens critiquent dans les cimetières, notamment le fait d’être écrasé par l’omniprésence de la mort. » Son cimetière voué seulement aux corps incinérés se veut « moins cartésien », dit-il. « On essaye d’être très contemporain. » Comme d’autres entreprises du genre, Les Sentiers offrent un terrain de jeu pour les enfants, des tables à pique-nique, des sentiers le long desquels on dispose des cendres dans des columbariums ou souvent près d’un arbre. « L’arbre est devenu un symbole très important. »


L’arbre s’enracine comme une pratique de plus en plus dominante. « On me demande même souvent, raconte John Tittel, si ce que fait la compagnie italienne Capsula Mundi est offert au Québec. Il s’agit de prendre un corps non embaumé, de le placer dans la position du foetus et de le placer dans une sorte de coquille biodégradable. On l’enterre et on plante un arbre dessus. L’ADN du corps se mélange ensuite à celui de l’arbre. Il est certain que si c’était offert, ce serait très demandé ici. »



Des esprits forts


Les pratiques à l’égard de la mort ont vraiment beaucoup changé. En 1909, la militante féministe Éva Circé-Côté s’était attiré l’opprobre général de ses compatriotes en voulant faire incinérer les restes de son jeune époux, Pierre-Salomon Côté, connu pour être le médecin des pauvres. Pareils esprits rebelles à l’univers religieux se montrent au départ plus sensibles que d’autres aux avantages de la crémation comme manière de se distinguer.


Pour des esprits libéraux, la crémation constitue en effet une façon symbolique de se libérer des contraintes de l’Église. Amédée Papineau, le fils du révolutionnaire Louis-Joseph Papineau, se fait incinérer en 1903. Honoré Beaugrand, l’ancien maire franc-maçon, demande qu’on fasse de même en 1906. À Montréal, aussi bien dire au Québec, la crémation n’était proposée que depuis 1901 à la suite de l’installation d’un four crématoire au cimetière Mont-Royal, à l’instigation d’hommes d’affaires qui y voyaient entre autres choses l’efficacité d’une époque vouée aux avancées techniques, explique dans son travail l’historien Martin Robert. Dans l’univers chrétien, la crémation n’avait pourtant plus la faveur depuis des siècles. Depuis les années 1970, la faveur de l’incinération est montée en flèche. Sept morts sur dix sont désormais incinérés. Très souvent, on ne sait plus bien où se trouvent les morts.


« Il existe de plus en plus une confusion entre la vie et la mort », explique Luce Des Aulniers. « Il y a un refus clair de la mort à travers des formes diverses de sa banalisation. Par exemple, ce n’est pas forcément une façon d’apprivoiser la mort que d’avoir une urne funéraire sur la cheminée de son salon. Quand est-ce qu’on en a alors fini avec la mort ? La conduite du deuil a un sens. Les gestes comptent. Les morts doivent se trouver à la place des morts. Les anthropologues vous le diront ! »



La négation de la mort


« Je trouve que cette loi touche à beaucoup de choses, mais du bout des lèvres, au nom de la santé publique et de la dignité humaine », observe Luce Des Aulniers. « La santé publique, on voit ce que ça peut être, mais la “dignité humaine” est devenue le plus grand fourre-tout qui se puisse imaginer. »


On aura beau légitimer de nouvelles pratiques, légiférer sur des modalités à l’égard de la mort, le sens profond de la disparition se trouve mis en déroute dans une loi pareille, estime-t-elle. On n’a pas réfléchi en somme aux changements profonds qui se sont opérés dans nos sociétés. « En contrôlant les réalités matérielles, on se donne l’impression d’avoir une prise sur les réalités de la mort. On se donne une impression d’invulnérabilité. »


Et quelles sont les motivations profondes de tout cela ? « S’il y a un endroit où on fait de l’argent désormais, dit Luce Des Aulniers, c’est bien avec la mort. Pensez seulement à ce phénomène de réduction des cendres en bijoux à conserver sur soi. On a hypermatérialisé les restes ! L’entreprise funéraire va finir par payer pour ces excès comme l’Église catholique a payé pour les siens. »



Jean-François Nadeau
Le Devoir

Querelle de clocher, vol. X

Tar sands in ALBERTA, Canada

Son pétrole, notre problème

Selon le Globe and Mail, Mme Notley aurait tenu les propos suivants concernant le projet Énergie Est : « Des dizaines de milliards de dollars de revenu, à partager entre toutes les provinces, sont en jeu sur notre accès à d’autres marchés pour notre pétrole. »


D’après une étude de KPMG parue en 2013, la répartition entre les provinces des retombées économiques de l’exploitation du pétrole au Canada pour l’année 2012 était la suivante : 77 % pour l’Alberta, 10 % pour la Saskatchewan, 8 % pour l’Ontario, 3 % pour la Colombie-Britannique, 2 % pour le Québec et moins de 1 % pour les autres provinces.


Ces chiffres nous rappellent qu’il n’y a pas de partage des revenus du pétrole entre les provinces parce que le Canada ne possède pas de pétrole et n’exporte pas de pétrole — le pétrole appartient aux provinces pétrolières et les revenus perçus par les autres provinces ne proviennent pas de la vente du pétrole, mais seulement des retombées indirectes liées à l’activité économique générée par l’exploitation pétrolière.



Yann Jacques, Montréal PQ, le 26 janvier 2016
Le Devoir


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Le SEGMENT SUR LE PIPELINE d’Infoman répondait à ‘Rick Mercer rants to Montreal’s Denis Coderre, saying Energy East is needed’ et nous aimerions ajouter au dossier ces deux satires consécutives :





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Les États-Désunis du Canada (2012) de MICHEL BARBEAU, GUYLAINE MAROIST & ÉRIC RUEL (December 8, 2015)


Les États-Désunis du Canada (2012) de MICHEL BARBEAU, GUYLAINE MAROIST & ÉRIC RUEL

Le français, non merci

QUÉBEC – Plus de 200 000 Néo-Québécois, soit 20 % de la population immigrée au Québec, ne parlent pas français. La plupart de ces immigrants, soit 160 000, parlent anglais. En dépit de la sélection prioritaire de candidats connaissant le français — 60 % du total —, l’immigration continue de contribuer au déclin du français, surtout dans la région de Montréal.


C’est ce que signale un portrait des efforts du Québec en matière de francisation et d’intégration intitulé Le Québec rate sa cible. Commandité par la CSN, le Mouvement national des Québécois, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et le Mouvement Québec français, le document exhaustif de 130 pages, rédigé par le chercheur Jean Ferretti de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), s’appuie sur des données du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI) et de Statistique Canada ainsi que sur diverses études de chercheurs comme Marc Termotte, Paul Béland, Michel Pagé, Brahim Boudarbat, Gilles Grenier, Patrick Sabourin et Guillaume Marois.


« On dirait que par négligence, le gouvernement du Québec refuse de voir l’impact de l’immigration sur le français à Montréal », a affirmé Jean Ferretti au Devoir.


« La politique migratoire menée depuis 1991 ne permet pas d’atteindre l’objectif du [ministère] de pérenniser le français. Les efforts de sélection ont permis de hausser la part d’immigrants connaissant le français, mais ne sont pas suffisants pour endiguer le déclin du français », écrit Jean Ferretti.



Concurrence linguistique


Le Québec est dans une situation particulière par rapport à d’autres sociétés, note-t-il. « L’adoption de la langue de la majorité par les immigrants ne va pas de soi. À Montréal, la possibilité de vivre dans la langue de son choix et la forte présence des anglophones du Québec créent une situation de concurrence linguistique qui limite les transferts linguistiques vers le français. »


Jean Ferretti cite Paul Béland, qui a démontré que les immigrants de langue maternelle latine ou originaires de la Francophonie, quelle que soit leur langue maternelle, sont enclins à adopter le français, alors que c’est l’inverse pour les immigrants de langue maternelle non latine. Depuis 1971, la proportion des immigrants de langue latine qui adoptent le français a augmenté à 87 %, tandis que le transfert vers le français des immigrants de langue non latine est resté le même en 30 ans, à 15 %.


Ainsi 88 % des Latino-Américains et 90 % des Arabes installés au Québec connaissent le français, alors que plus de 40 % des Chinois et des Sud-Asiatiques ne connaissent pas le français. Dans le cas des Philippins, 58 % d’entre eux ne parlent pas français.


Pour préserver le caractère français du Québec, il importe non seulement de recruter une forte proportion d’immigrants qui connaissent le français, mais il faut choisir parmi les immigrants qui ne connaissent pas le français ceux qui sont les plus aptes à adopter la langue commune, estime l’auteur.


Si le gouvernement du Québec poursuit la même politique en matière d’immigration qu’à l’heure actuelle, le poids démographique des francophones continuera de diminuer. Reprenant les projections des démographes Guillaume Marois et Marc Termotte, les francophones ne représenteraient plus que 75 % de la population du Québec dans 40 ans, contre 82 % en 2006. Si le seuil d’immigration de 50 000 à l’heure actuelle était porté à 65 000 — Philippe Couillard a déjà indiqué son intention d’augmenter le nombre d’immigrants reçus au Québec —, le poids des francophones s’élèverait à 73 %.


De son côté, Marc Termotte évalue qu’avec un seuil de 60 000 immigrants par an, la proportion de francophones sur l’île de Montréal passerait de 52,4 % [donnée de 2011] à 42,3 % en 2056. Ces projections, qui montrent un accroissement de la présence des allophones (de 23 % à 34 %) ne tiennent pas compte des transferts linguistiques au terme de la deuxième génération d’immigrants.



Langue de travail


Jean Ferretti poursuit son portrait en se penchant sur la langue de travail, la francisation des immigrants et le bilinguisme institutionnel du gouvernement du Québec. Après des progrès considérables à la suite de l’application de la loi 101 à compter de la fin des années 70, la part des travailleurs dans la région de Montréal qui parlent principalement le français au travail n’a cessé de diminuer depuis 1989, passant de 85 % à 80 %. Sur l’île de Montréal, ce sont 66 % des travailleurs qui utilisent le français au travail la majorité du temps.



Robert Dutrisac
Le Devoir


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Between the Solitudes (1992) by ABBEY JACK NEIDIK (January 13, 2016)
La langue à terre (2013) de JEAN-PIERRE ROY & MICHEL BRETON (January 8, 2016)
“What are Anglophones in Québec really like ?” (December 6, 2015)
L’invention d’une minorité: les Anglo-Québécois (1992) de JOSÉE LEGAULT (May 31, 2015)