
Jorge Mario Bergoglio (1936-2025)
Les fidèles réunis sur la place Saint-Pierre dimanche étaient enchantés par l’apparition du pape François parmi eux pour célébrer Pâques. Ils ne savaient pas que ce serait sa dernière. Le souverain pontife s’est éteint lundi matin au Vatican à l’âge de 88 ans, un peu plus de deux mois après avoir été hospitalisé pour une sévère pneumonie.
« Ce matin à 7 h 35 (1 h 35, heure de l’Est), l’évêque de Rome, François, est revenu à la maison du Père. Toute sa vie a été consacrée au service du Seigneur et de son Église », a annoncé le cardinal camerlingue Kevin Farrell, dans un communiqué publié par le Vatican.
Son certificat de décès publié lundi par le Vatican indique qu’il a succombé à un accident vasculaire cérébral (AVC) qui a provoqué un coma et une défaillance cardiocirculatoire irréversible.
François a insisté dimanche pour assister aux cérémonies de Pâques sur la place Saint-Pierre, malgré les recommandations de ses médecins qu’il s’impose deux mois de convalescence. Des fidèles ont témoigné aux médias de la souffrance évidente du pape.
Mais Jasmin Lemieux-Lefebvre, qui a dirigé les communications du diocèse de Québec de 2009 à 2019 et qui a travaillé sur la visite du pape au Canada en 2022, estime que ce dernier tour de piste a voulu donner espoir.
« Quand François a rendu son dernier souffle, c’était encore Pâques dans plusieurs pays du monde, dit M. Lemieux-Lefebvre. On célébrait la résurrection du Christ. C’est un message d’espoir. La mort de François s’inscrit dans un message d’espérance. D’ailleurs cette année, c’est le jubilé de l’espérance. Et son autobiographie en janvier s’appelait Espère. »
Le message de Pâques a aussi joué dans le dernier acte politique de François. « Je trouve très important que François ait choisi la journée de Pâques, alors qu’il était fatigué, pour rencontrer J.D. Vance, dit M. Lemieux-Lefebvre. On a face à face des interprétations du message du Christ, notamment face aux migrants. François a choisi de tendre une perche à J.D. Vance, à l’administration Trump. J’espère que ce qu’ils se sont dit va être rendu public, que ça va avoir un impact sur les États-Unis, sur le monde entier. »
Son message « Urbi et orbi » de Pâques pouvait d’ailleurs être lu comme un commentaire sur certaines politiques américaines, selon Gilles Routhier, théologien à l’Université Laval. « Il a parlé de liberté de pensée et d’expression, comme pour prendre à contre-pied le discours de J.D. Vance », dit M. Routhier, faisant référence à une accusation du vice-président américain à l’effet que la liberté d’expression est menacée par les restrictions européennes envers l’extrême droite.
Engagement écologique
M. Lemieux-Lefebvre relève que les messes qui vont commémorer la mort de François partout dans le monde vont avoir lieu mardi, le Jour de la Terre. « Sauver la planète était une cause qui lui tenait particulièrement à cœur, dit-il. Ici à Québec, il va y avoir une messe du cardinal Lacroix, et aussi des chrétiens qui vont aller manifester pour le climat devant l’Assemblée nationale. » De nombreux groupes chrétiens de Québec ont d’ailleurs partagé leur intention d’aller à la manifestation pour le climat devant l’Assemblée nationale, selon Myriam Bourget de Manrèse, un centre de spiritualité jésuite de la capitale.
Premier pape non européen depuis près de 1300 ans, l’Argentin Jorge Mario Bergoglio a réussi à éloigner l’Église des affaires de mœurs, tout en s’illustrant par son humilité et son engagement écologique.
Né dans une famille d’origine italienne en Argentine en 1936, le pape François a passé sa carrière prépapale à Buenos Aires, la capitale. Il est devenu provincial des jésuites du pays durant la dictature militaire. Cette période difficile a ralenti sa progression dans la hiérarchie catholique. Malgré tout, Jorge Mario Bergoglio a été fait archevêque de Buenos Aires en 1998. Après le décès de Jean-Paul II, en 2005, il avait été pressenti pour devenir pape.
Jorge Mario Bergoglio sera nommé souverain pontife en 2013, après la démission extraordinaire de Benoît XVI.
Les dernières années de vie de François ont été marquées par plusieurs hospitalisations, notamment pour des problèmes pulmonaires remontant à une ablation partielle d’un poumon en raison d’une pleurésie à l’âge de 21 ans.
Discernement jésuite
« François a fait beaucoup d’efforts pour repenser la gouvernance de l’Église », observe le théologien Gilles Routhier, de l’Université Laval.
Il a réformé la Curie romaine [la haute administration vaticane] et a modifié les règles des synodes qui font évoluer les discussions dans l’Église, pour favoriser la participation des laïcs hommes et femmes.
– Gilles Routhier, théologien de l’Université Laval
Le pape François a également réussi à éloigner – un peu – les controverses sur les mœurs du trône de saint Pierre, selon M. Routhier.
L’une de ses citations frappantes est « Qui suis-je pour juger ? », prononcée peu après son élection, en 2013, lorsqu’ont émergé des allégations d’homosexualité visant le président de l’Institut pour les œuvres de religion, décrite comme la « banque du Vatican ».
« Devant la diversité des situations mondiales et leur complexité, il a affirmé qu’on ne pouvait attendre du pape qu’il dise si une pratique ou une situation est bonne ou mauvaise », indique M. Routhier, qui cite l’exemple de la communion des divorcés remariés. Le pape François a indiqué qu’elle devait être acceptée avec discernement, selon le contexte.
Le discernement, c’est très jésuite. C’est un renversement de situation. Le pape ne nous dit pas : “Je vais vous enseigner.” Il nous demande de faire preuve de discernement pour chaque situation.
– Gilles Routhier, théologien de l’Université Laval
Pour le Canada, le point marquant du pontificat de François s’est avéré, selon M. Routhier, sa visite au pays, en 2022, pour présenter ses excuses aux Autochtones.
« Il n’a pas fait ça dans beaucoup de pays », note le théologien.
Parmi les autres dossiers ayant marqué son pontificat, mentionnons la protection de l’environnement ou encore la critique du capitalisme et des inégalités. Ils révèlent sa formation intellectuelle, estime Massimo Faggioli, théologien de l’Université Villanova, en Pennsylvanie, et auteur d’un livre sur l’impact de François sur l’Église, paru en 2020.
« Il fait une critique de la modernité directement liée à la pensée catholique des années 1930 et 1940. C’est une critique conservatrice du capitalisme, plutôt qu’une critique radicale ou socialiste, comme celle de certains penseurs catholiques des années 1970 », explique-t-il.
M. Faggioli estime que François était plus proche de la « doctrine sociale » de l’Église d’il y a 100 ans.
Mais au lieu de s’en tenir à défendre la classe ouvrière (à partir du début du XXe siècle) ou les pays pauvres du Sud (à partir des années 1960), la « doctrine sociale » de l’Église sous François s’est distinguée en adoptant l’idée de défendre les droits des générations futures, notamment en lien avec l’environnement, relève le dominicain français Thomas Michelet, qui enseigne à l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin (Angelicum), à Rome.
Humilité
François s’est aussi démarqué par une humilité quasi ostentatoire. Ses appels impromptus à des fidèles ordinaires qui lui avaient écrit ou ses baisers résolus aux pieds des plus mal pris – dont un fidèle atteint d’une déformation impressionnante –, le Jeudi saint, ont frappé l’imaginaire.
Quand il était archevêque de Buenos Aires, puis cardinal, il insistait pour qu’on l’appelle « père » plutôt que « monseigneur ». Il avait même renoncé à son appartement de fonction.
Après son élection au conclave, en 2013, François est allé chercher lui-même ses valises à l’hôtel, en plus de payer la note, et a décidé de rester à la résidence Sainte-Marthe, dans la cité du Vatican, plutôt que dans les appartements pontificaux.
Cette austérité remonte à son enfance, avance sa biographe, Francesca Ambrogetti, journaliste de l’agence de presse italienne Ansa à Buenos Aires.
« Ils avaient les habitudes des familles laborieuses du nord de l’Italie, d’où ils ont émigré en 1929. Il ne fallait pas gaspiller. D’ailleurs, quand Bergoglio a annoncé à sa mère qu’il allait devenir prêtre, elle lui a dit qu’il allait sûrement changer d’idée. Pour elle, il était impensable qu’il ne poursuive pas sa carrière de chimiste. »
Avant d’entrer au séminaire (à 21 ans, ce qui était considéré comme tardif à l’époque), François a demandé une femme en mariage.
Le sacerdoce n’a pas immédiatement chambardé sa vie. Il a commencé à enseigner la psychologie et la littérature argentine dans l’un des plus prestigieux collèges catholiques du pays. C’est à cette époque qu’il s’est lié d’amitié avec l’écrivain Jorge Luis Borges.
La dictature et François
La dictature militaire argentine a forcé le pape François à se salir les mains. Il était alors provincial (patron) des jésuites argentins. Deux jeunes membres de l’ordre religieux catholique qui travaillaient dans des quartiers pauvres, Orlando Yorio et Francisco Jalics, l’ont alors accusé de ne pas s’être opposé à leur emprisonnement.
François a aussi été cité dans un cas d’enlèvement d’enfants nés dans les geôles du régime dictatorial, et dont les jésuites avaient facilité l’adoption, selon les victimes.
Plusieurs livres ont été écrits sur ses liens possibles avec la dictature militaire en Argentine. Après l’élection de François en 2013, le père Jalics – le père Yorio était mort en 2000 – a nié que Bergoglio ait été en partie responsable de son emprisonnement.
Jorge Mario Bergoglio a connu des années de purgatoire après la chute de la dictature. Durant cette période, il a fait son doctorat en Allemagne sur un théologien italo-allemand spécialiste de la liturgie, Romano Guardini, pour ensuite effectuer un retour dans des paroisses argentines. En 1992, il a été fait évêque auxiliaire de Buenos Aires.
Comme pour rectifier les faits sur sa collaboration avec la dictature argentine, François a facilité, en 2015, la béatification de l’archevêque Óscar Romero de San Salvador, assassiné en 1980, en pleine messe, par des membres de l’extrême droite. Aux yeux de plusieurs, l’absence de Mgr Romero au panthéon des saints prouvait que le Vatican fermait les yeux sur les crimes commis par la droite.
Des liens avec Ouellet et Lacroix
La route de François a croisé celle du cardinal québécois Marc Ouellet.
Au conclave de 2005, qui a mené à l’élection de l’Allemand Joseph Ratzinger, le cardinal Bergoglio avait terminé deuxième, d’après le vaticaniste italien Andrea Tornielli.
Son élection a néanmoins surpris au conclave de 2013.
Le cardinal Ouellet, qui faisait partie en 2013 des papabili (personnes jugées susceptibles d’être élues pape), était fortement associé à Benoît XVI. Ouellet et Ratzinger adhéraient tous deux à la pensée conservatrice du théologien suisse allemand Urs von Balthazar (1905-1988). Et pourtant, Mgr Ouellet a conservé son poste de préfet de la Congrégation pour les évêques avec François jusqu’en 2023.
« Ouellet avait beaucoup d’appuis lors du conclave de 2013, observe le théologien Massimo Faggioli. Et il a pris bien soin de ne pas s’opposer aux décisions et à la vision de François. Je pense qu’il était un lien avec certains cardinaux plus conservateurs. »
Dans son livre The Election of Pope Francis, le vaticaniste de l’hebdomadaire jésuite America Gerald O’Connell affirme que Mgr Ouellet était troisième au début du conclave de 2013, puis deuxième, avant de finalement appeler ses partisans à voter pour Mgr Bergoglio.
Cette proximité avec Mgr Ouellet s’est transmise à son successeur comme archevêque de Québec, Gérald Cyprien Lacroix, qui a fait partie d’un groupe de neuf proches conseillers du pape à compter de 2023.
Mathieu Perreault
La Presse
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