April 24, 2011
Des chercheurs recommencent à fouiller les très, très riches archives secrètes du Vatican. Surprise! Ils y découvrent des choses cachées qui concernent le Québec, depuis la fondation de la Nouvelle-France jusqu’à la Révolution tranquille.
Quelle métropole a eu la plus grande influence sur le Québec? Paris ou Londres? New York ou Rome? Et pourquoi pas toutes ces villes?
«Grosso modo, ces quatre métropoles ont structuré notre société jusqu’à 1970-1980», explique le professeur de sociologie Jean-Philippe Warren, titulaire de la Chaire d’histoire sur le Québec de l’Université Concordia. «La France est la métropole pour la langue, les traditions populaires, le folklore et la grande culture, les idées, les livres, les arts; la métropole britannique a donné au Canada français ses institutions politiques; ensuite, New York va fournir la culture de masse envahissante très rapidement, dès la fin du XIXe siècle; puis la quatrième métropole, c’est Rome, avec le Vatican, qui apporte la religion et, à travers elle, bien d’autres considérations parareligieuses, qui touchent à l’éducation, au droit, au politique, au social.»
Et alors? Et alors, ce simple constat change la perspective sur la petite colonie réputée fermée comme un ciboire dans un tabernacle. «On colporte toujours le cliché de la société québécoise tricotée serré et frileuse, repliée sur elle-même et traditionnelle dans une Amérique ouverte, moderne et progressiste, poursuit le professeur. Ce qui me frappe plutôt quand j’étudie cette histoire, c’est le métissage mondial. Et ce qui me frappe aussi, c’est que les historiens n’ont pas encore construit une vision d’ensemble, notamment de la dynamique vaticane.»
On y arrive donc. Après avoir beaucoup fouillé ici, les savants élargissent l’horizon et développent des perspectives comparatives. Le Musée de la civilisation de Québec prépare un survol de 2500 ans d’histoire de Rome en quelque 300 oeuvres, première grande expo-synthèse autour de cette idée phare des métropoles essentielles. Le colloque Les archives du Vatican: pistes et défis pour la recherche sur le Québec et l’Amérique française continue l’exploration par d’autres moyens.
La rencontre sera organisée à Rome les 5 et 6 mai. Des douzaines de chercheurs sont attendus au Consiglio nazionale delle ricerche, sur la place A. Moro. Une douzaine de partenaires institutionnels, dont la délégation du Québec à Rome, participent à l’organisation des rencontres savantes.
«Je suis devenu la cheville ouvrière d’un projet qui me dépasse largement, explique le professeur Warren, en parlant de ce colloque. Le maître d’oeuvre, c’est le professeur italien Matteo Sanfilippo, grand spécialiste du domaine, qui a publié de nombreuses études. Ce projet de faire parler les archives du Vatican sur l’Amérique francophone, un chantier ouvert dans les années 1990 par les Italiens, a connu une baisse au début des années 2000. On espère restimuler la recherche dans ce labyrinthe inextricable parce que, à partir des archives du Vatican, il y a possibilité de reprendre la question québécoise et la question canadienne-française de manière originale.»
Les coûts ont ralenti les travaux pionniers des chercheurs italiens, souvent encouragés par feu le professeur Pierre Savard de l’Université d’Ottawa. En plus, il faut maîtriser l’italien et le latin pour lire une bonne partie des documents. La masse himalayenne de documents à éplucher, répartie sur 85 kilomètres linéaires de tablettes, finit aussi par décourager. «C’est comme si à la Bibliothèque nationale il y avait un troisième sous-sol oublié, négligé, mais bourré de documents importants et méconnus», résume M. Warren.
Louis XIV, Rome et la Nouvelle-France
Il cite alors l’exemple de la gigantesque salle des index des Archivum Secretarum Vaticanum, où se trouvent «trois immenses volumes» pour les seuls documents concernant le Canada. Et ce ne sont que les index, pas les archives elles-mêmes. Il faut ajouter les index sur la Nouvelle-France et ceux concernant l’Amérique française contenus dans les volumes sur les États-Unis, le Commonwealth, la France ou la Grande-Bretagne pour mesurer l’ampleur des informations à fouiller dans plusieurs centaines de boîtes d’archives. Pour la seule période 1922-1939 qui vient de s’ouvrir à la consultation, il y aurait entre 200 et 300 boîtes «canadiennes» non classées.
«Franchement, les chercheurs ont eu peur et nous, nous tentons de relancer ce chantier, commente alors M. Warren. La cartographie même des contenus reste à faire. On est en pleine terra incognita et on a peur de subir le sort du docteur Livingston en se perdant dans la brousse.»
Le colloque, à mi-chemin entre l’atelier de travail et le symposium, rassemble des historiens, des politologues, des archivistes, et même des muséologues. Roberto Perin, de l’Université York, prononce l’adresse inaugurale en parlant de Rome, des relations internationales et de la question nationale avant la Seconde Guerre mondiale. La Nouvelle-France occupe une bonne part du reste de la première journée. Le professeur Giovanni Pizzorusso (Université Gabrille D’Annunzio) analyse par exemple les révélations sur cet ancien régime dans les archives du Saint-Office.
«Au moment de la Nouvelle-France, le Roi-Soleil consacre un budget [des dizaines de fois] plus important pour son ambassade à Rome que pour toute sa colonie de la Nouvelle-France. Rome, c’était un lieu de pouvoir fabuleux où se prenaient des décisions capitales. Si le Brésil parle portugais, c’est qu’un pape en a décidé ainsi en divisant le monde. Par contre, je ne m’attends pas à de grandes épiphanies historiennes. Il n’y a pas beaucoup de surprises en historiographie. Mais des choses se cristallisent. […] Mon hypothèse forte, c’est que toute institution a ses continuités.»
Le Canada français compte autant qu’un pion sur l’échiquier mondial. Une des obsessions papales concerne la conversion des anglicans au catholicisme. Au XIXe siècle, le Saint-Siège croit pouvoir infléchir la Couronne britannique, et la carte de l’Amérique française est jouée dans cette perspective. «Il y a un hiatus entre le haut clergé et le bas clergé, explique le spécialiste. Le premier est plus nationaliste et le second, choisi en fonction des intérêts mondiaux, se fait plus conciliant et ne pense pas nécessairement en terme de préservation de la langue et de la culture.»
Une des premières encycliques pontificales portant sur un pays en particulier, Affari Vos (1897), porte d’ailleurs sur le litige des écoles confessionnelles du Manitoba. Léon XIII se prononce à la demande de Wilfrid Laurier, élu l’année précédente.
À l’ouverture de la prochaine tranche des archives, celle d’après 1939, le professeur Warren espère comprendre le rôle joué en 1950 par la haute hiérarchie vaticane dans l’éviction de Mgr Charbonneau, jugé antiduplessiste. Il sera aussi possible de juger l’influence de Vatican II sur la Révolution tranquille, deux événements synchrones. Là encore, selon la formule, «Rome a parlé».
Les spécialistes souhaitent se réunir tous les deux ans. Éventuellement, avec relativement peu d’argent (quelques centaines de milliers de dollars), il serait possible de numériser toutes les archives pour en démocratiser l’accès. Des présentations traiteront de cette nouvelle et prochaine vie numérique des trésors.
«C’est un objectif concret, conclut le professeur Warren. Une fois la numérisation complétée, l’économie sera considérable. En tout cas, on n’aura pas besoin de se déplacer jusqu’au coeur de la métropole romaine pour fouiller des archives sur le Québec et l’Amérique française…»
Stéphane Baillargeon
Le Devoir