September 6, 2011
Encore une fois complètement hors saison (c’était durant la période des fêtes l’année dernière) mais j’ai trouvé ça je sais pas, ambitieux? Dans le bon sens du terme. Le texte est de Simon Beaudry et Philippe Jean Poirier (aussi publié ici) :
Décidément ! Rien ne va plus au Québec. Le gouvernement s’enlise davantage chaque jour, à force de cafouillages et d’entêtement. N’étant pas en reste, la population assiste au spectacle dans l’indifférence la plus complète, depuis qu’elle a répudié en bloc la politique, les politiciens, et tout ce qui sort de la bulle douillette de ses préoccupations domestiques. Nous avons déserté les urnes comme autrefois les Églises, et cela n’augure rien de bon. Les projets s’écrasent avant même leur lancement officiel (CHUM, Force Québec et quoi d’autres). C’est dire ! Tout le monde est désormais victime d’un complot. La gauche accuse les grands médias d’être au service du Capital. La droite accuse la clique du Plateau de contrôler le Québec. Il n’y a plus aucun sens de la mesure. Chacun se sent traqué, muselé, trahi. Et donc, rien ne bouge en définitive.
Cet immobilisme est reconnu et décrié par tous. Il ne se passe d’ailleurs pas une semaine sans qu’un notable prenne de son temps pour déplorer la chose publiquement.
Peu de gens semblent pourtant enclins à tirer la conclusion qui s’impose :
À savoir que notre identité collective est aujourd’hui défaillante, qu’elle échoue à rallier le plus grand nombre et que, par conséquent, elle s’avère incapable de nous unir dans l’action.
Le collectif Identité québécoise propose, en guise de cadeau de Noël, un tryptique visuel ayant pour but de relancer la réflexion identitaire au Québec. Nous avons pour l’occasion associé trois objets de notre folklore avec trois éléments fondamentaux de l’identité collective : la parole est ici représentée par la pipe ; l’action, par la raquette ; la culture, par les cuillères.
Vous remarquerez que ces objets ont été modifiés au passage : la pipe est devenue un pistolet ; la raquette, un piège ; les cuillères, un engin de torture. En altérant ces objets, nous voulons illustrer le rapport autodestructeur que nous entretenons désormais avec notre identité.
LA PAROLE (représentée par la pipe-pistolet)
Imaginons un grand-père qui allume une pipe dans sa berçante ; il boucane un peu, puis nous raconte une histoire, un souvenir, une anecdote quelconque. Il nous parle de ses expériences passées, de son vécu, des leçons qu’il en retire aujourd’hui.
Imaginons ce même grand-père dans la force de l’âge, à l’aube de sa trentaine. Il se tient debout au grand air, plein de vigueur et d’énergie. Il prend une pause et allume sa pipe, boucane un peu, puis explique le projet qui l’occupe en ce moment. Il vous parle de ce bout de terre qu’il veut défricher, de cette remise qu’il veut construire. Il arbore un sourire franc, son ambition est grande, il a le cœur léger.
La parole est ce qui nous permet de voyager dans le temps. Par le récit, elle nous donne accès à un passé qui n’existe plus. Par le rêve, elle nous permet d’inventer un futur qui n’existe pas encore.
Nous pouvons donc, par la parole, prendre du recul sur le présent.
L’identité n’est pas autre chose : c’est cette faculté miraculeuse que l’homme possède d’avoir conscience de ce qu’il fait, de se « voir » agir. Il peut alors emmagasiner de l’information, élaborer des conjonctures, concevoir des stratégies et tenter d’en prévoir l’issu.
C’est ainsi qu’un projet germe, qu’une ville se bâtit, qu’un pays voit le jour.
Or cette parole est aujourd’hui noyée dans la clameur du village global. Les Blocks busters américains tiennent lieu de grand récit collectif, quand ce n’est pas Internet qui le fait éclater en morceaux, par le concourt de mille voix diverses, toutes plus singulières les unes que les autres.
Il ne semble plus y avoir de volonté d’établir une trame historique commune, dans laquelle chacun pourrait y inscrire son récit personnel.
L’ACTION (représentée par la raquette-piège)
Imaginons cette fois une femme, par temps froid, qui décide de chausser ses raquettes pour aller au bout du champ et peut-être même plus loin. Elle va à la rencontre du pays réel, d’où elle reviendra pleine de souvenirs et de sensations.
Si elle est accompagnée, elle découvrira peut-être qu’elle est en meilleur forme que son copain, qu’elle est parvenue à distancer dans une côte…
L’identité est une fiction qui se nourrit aux sources du réel.
En agissant, nous confrontons notre vision du monde à la réalité des choses. En allant à la rencontre de l’autre, nous prenons également la mesure de nous-mêmes.
Or nous vivons dans un monde où il est de plus en plus difficile d’agir. La société de consommation nous renvoie sans cesse à un rôle de spectateur-consommateur, qui se réduit à acheter un produit, choisir une chaîne, un poste, un site Web. Nous sommes ainsi piégés dans l’attente d’un contenu qui porte nos aspirations, sans même savoir ce qui nous convient dans le réel, puisque nous le fuyons de plus en plus.
LA CULTURE (représentée par les cuillères cloutées)
Imaginons une soirée canadienne, où parents et amis sont invités à célébrer Noël par des gigues endiablées. Les uns entament un chant connu de tous. Les autres échappent un sourire. Il y a sous nos yeux une communion des esprits.
La culture commune est ce qui provoque la rencontre de l’Autre, tout en transcendant les nécessités quotidiennes. Elle permet ainsi de créer, comme le dit Gérard Bouchard, « une solidarité au-delà de la raison froide ».
Or que se passe-t-il aujourd’hui ? La culture dans laquelle nous baignons n’a plus rien de commune. Chacun vit dans sa propre bulle culturelle, toute personnelle et intime, qu’il nourrit dans l’immensité du Web.
Car nous sommes par ailleurs immensément cultivés. Sauf que plus personne ne possède les mêmes repères. Il n’existe plus ce lieu de rencontres qu’autrefois on appelait la Cité. Chacun fredonne sa gigue dans sa tête, renfrogné dans son coin du bus.
LES SINGES DE LA SAGESSE, VERSION QUÉBÉCOISE…
Notre Triptyque de la décadence identitaire se présente comme une sorte de mise en garde, à la manière des Singes de la sagesse. En incarnant la parole, la pipe-pistolet nous rappelle que l’identité doit se déployer dans le temps, à travers un récit du passé et une vision du futur. En incarnant l’action, la raquette-piège nous rappelle que l’identité est une bête qui se nourrit de gestes concrets. Les cuillères de la torture, quant à elles, nous rappellent enfin que, peu importe nos idées et nos humeurs, il faut pouvoir, en tant que nation, se doter d’une culture commune propre à générer des rencontres, des dialogues et par le fait même des solidarités.
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SIMON BEAUDRY est un publicitaire qui vit et travaille à Montréal.