OTTAWA – Les groupes évangélistes s’invitent dans la campagne électorale. Un regroupement d’associations ultra-religieuses du pays a lancé un site Internet invitant les croyants à s’impliquer dans l’élection pour donner un coup de main aux candidats ayant endossé les projets de loi pro-vie à la Chambre des communes. Un seul québécois se qualifie à leurs yeux: le candidat conservateur dans Brome-Missisquoi, Nolan Leblanc Bauerle.
Le groupe «On it! Vote, pray serve» (On s’y attaque: votons, prions, servons) a été révélé au grand jour aujourd’hui par Radio-Canada. Le mouvement rassemble les groupes tels que REAL Women et 4MyCanada, qui prônent le retour aux valeurs traditionnelles, ou encore le groupe pro-vie Campaign Life Coalition. L’avortement, l’euthanasie, le mariage homosexuel et la reconnaissance des droits des personnes transgenres sont dans leur mire.
Sur le site, chaque député fédéral sortant est évalué selon son vote sur neuf initiatives: le mariage homosexuel (2005 et 2006), le rehaussement de l’âge du consentement sexuel de 14 à 16 ans, la reconnaissance d’une deuxième victime lorsqu’une femme enceinte est attaquée, l’imposition de peines minimales pour le trafic d’enfants, l’euthanasie, le financement des avortements à l’étranger dans le cadre du sommet du G8, la criminalisation du fait de contraindre une femme à se faire avorter et la reconnaissance du changement de sexe comme motif interdit de discrimination.
Les bloquistes, ces impies
Au total, les élus conservateurs sortent triomphants de cette analyse: 82 d’entre eux obtiennent une note parfaite et 53 autres obtiennent une note de passage. Seuls Lawrence Cannon et Josée Verner obtiennent un «F».
À l’autre extrémité, le Bloc québécois ne trouve jamais grâce aux yeux de On it! Les 45 députés évalués obtiennent tous un échec, sans exception. Les libéraux ont 54 échecs, trois notes parfaites (John McKay, Dan McTeague et Alan Tonks) et 18 notes de passage. Le NPD obtient 33 échecs et deux notes de passages, mais aucun «A».
Le site, qui se dit non-partisan, poursuit en fournissant une longue liste de candidats à l’élection méritant l’aide des électeurs mettant Dieu au sommet de leurs priorités politiques. La presque totalité sont conservateurs. Un seul candidat se qualifie au Québec. Il s’agit du conservateur Nolan Leblanc Bauerle. Le site mentionne qu’il a manifesté de «fortes valeurs familiales». M. Leblanc Bauerle tente de déloger le Bloc québécois dans Brome-Missisquoi.
Le site invite les militants religieux à s’impliquer dans le processus démocratique. Il suggère de devenir bénévole pour les députés ayant voté de la bonne manière sur les questions morales. Il propose de s’impliquer dans les circonscriptions où le résultat risque d’être serré afin d’aider le candidat moral à l’emporter. Il recommande aussi de contacter Élections Canada pour travailler le jour de l’élection ou encore de devenir scrutateur pour un des candidats.
Le site, enfin, dresse une liste de lieux de prière à caractère politique. Il suggère aussi aux gens de consulter le site électoral du réseau CTV, le seul média grand public cité sur le site.
MÉTABETCHOUAN-LAC-À-LA-CROIX – Le maire de Saguenay Jean Tremblay a parfaitement le droit de se battre pour réciter la prière à l’Hôtel de ville, a soutenu Gilles Duceppe, aujourd’hui
La croisade du maire Tremblay en faveur de la prière catholique a rattrapé la caravane électorale du Bloc québécois, de passage cette fin de semaine au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Alors que des candidats conservateurs affichent ouvertement leur sympathie pour la cause du maire de Saguenay, les candidats bloquistes préfèrent la discrétion, refusant d’alimenter la polémique.
Le député sortant de Chicoutimi-Le Fjord, Robert Bouchard, et les candidats Pierre Forest (Jonquière-Alma) et Claude Pilote (Roberval-Lac-Saint-Jean) ont choisi des ne pas étaler leur opinion sur la question, a indiqué le chef du Bloc, Gilles Duceppe, en point de presse à Métabetchouan-Lac-à-la-Croix.
«C’est leur choix, je leur ai demandé ce matin. Il y a un cas devant la cour et la cour jugera. En société démocratique, on doit vivre avec les jugements de cour, c’est comme ça que se passe et nos députés respecteront ce jugement», a dit M. Duceppe, entouré de ses candidats, sur les terres d’une vaste entreprise familiale agricole.
Un dossier épineux
Sous le couvert de l’anonymat cependant, des bloquistes bien en vue dans la région ont confié «marcher sur des œufs» dans ce dossier épineux qui suscite des réactions partagées et émotives au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Même M. Duceppe, un défenseur convaincu de la laïcité et de la séparation de l’Église et de l’État, semblait ce matin vouloir ménager la susceptibilité du maire. Ainsi, loin de critiquer la croisade de M. Tremblay pour la récitation du Notre Père au conseil de ville, le chef du Bloc a défendu son droit inaliénable de faire appel aux tribunaux pour défendre ses vues.
«C’est une question de droit, il a le droit d’utiliser les recours juridiques à sa disposition. Nous ne sommes pas dans une société où certains auraient le droit d’utiliser des recours et d’autres pas. C’est peut-être la volonté de M. Harper dans bien des cas mais ce n’est pas la mienne», a insisté le leader du Bloc.
Le maire de Saguenay conteste une ordonnance du Tribunal des droits de la personne de retirer le crucifix et de mettre fin à la prière dans la salle du conseil.
Parmi les conservateurs qui voient d’un bon oeil la cause du maire Tremblay figure le député sortant de Jonquière-Alma et ministre de l’Agriculture et des Anciens Combattants, Jean-Pierre Blackburn. Le premier magistrat de Saguenay a exercé un «leadership important» dans un débat qui, aux yeux de M. Blackburn, met en relief les valeurs collectives issues de la religion catholique.
Après avoir refusé une première fois de se prononcer sur la question, le candidat bloquiste Claude Pilote a finalement déclaré aux journalistes qu’il partageait la position de son chef sur la laïcité et la nécessaire séparation des affaires de la foi et de la Cité.
Selon lui, cette affaire de prière à l’Hôtel de ville de Saguenay préoccupe fort peu les électeurs de la région. «Il n’y a aucun enjeu sensible de ce coté-là, je fais du porte-à-porte, (je visite ) des usines, des industries et je n’ai eu aucune question sur ce dossier», a-t-il dit.
Agriculture
Les électeurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont certes d’autres chats à fouetter, comme les effets du déclin de l’industrie forestière et le manque de relève agricole. À cet égard, le chef du Bloc a proposé une série de mesures totalisant 100 millions de dollars pour favoriser la relève en agriculture.
M. Duceppe suggère en outre d’accroître la déduction pour gains en capital de façon à encourager le maintien des activités agricoles, d’aplanir les obstacles au transfert et à l’acquisition des fermes et de constituer un régime d’épargne-transfert agricole avec contribution de l’État.
Aussi, le Bloc demande au gouvernement fédéral de transférer au Québec une enveloppe récurrente pour favoriser la relève dans le secteur agricole.
‘Ils mènent une lutte à finir contre l’avortement et le mariage gai. Ils sont persuadés que nous vivons dans un univers décadent sous l’emprise du péché. Ils croient que la fin du monde approche et que le Canada est prédestiné à jouer un rôle de premier plan dans le retour du Christ sur terre.
Ces chrétiens évangéliques ont un accès privilégié à Ottawa. En outre, plusieurs députés conservateurs, eux-mêmes très religieux, s’affichent publiquement dans des manifestations de ces chrétiens born again, qui tentent d’influencer des décisions du gouvernement Harper.’
OTTAWA — Taïwan, janvier 2011. Christine Smith (nom fictif) est à bord d’un avion quand soudainement elle se sent mal. La députée libérale fédérale est allergique aux fruits de mer et elle a mangé plus tôt dans un restaurant où flottait une forte odeur de fumet de poisson. Pourtant, ce n’est pas tant le choc anaphylactique de leur collègue qui ébranle les autres députés présents que la réaction des trois élus conservateurs. Non, Mark Warawa, Jeffrey Watson et Blaine Calkins n’ont pas prodigué des soins médicaux. Ils se sont plutôt approchés de la malade, se sont agenouillés, ont apposé leurs mains sur sa tête et ont… entamé des incantations et des prières.
Cette anecdote est peu connue sur la colline parlementaire, et pour cause. Ceux qui ont été témoins de la scène ont été choqués de ce réflexe religieux contre-productif (l’attroupement nuisait à la respiration de la députée), mais ils hésitent à le dénoncer de peur d’être taxés d’intolérance. La principale intéressée a demandé à ce que son nom ne soit pas utilisé afin de préserver la confidentialité de son dossier médical.
«Pour être honnête, j’ai eu beaucoup de difficulté à garder mon sérieux, raconte au Devoir un des témoins. C’était tellement aberrant, envahissant et franchement irrespectueux. […] On n’est pas habitués de voir cela dans notre pays.»
Il n’en reste pas moins que les députés de l’opposition sont de plus en plus mal à l’aise devant les manifestations de l’influence religieuse sur certains élus conservateurs dans le cadre des travaux parlementaires. Autre exemple: avant le déclenchement de la campagne électorale, le Comité permanent des ressources humaines menait une étude sur le soutien offert par Ottawa aux parents adoptifs. Le 17 février, quatre jeunes adultes adoptés comparaissent pour raconter leur expérience. Le député Maurice Vellacott prend alors la parole pour révéler qu’il a lui aussi été adopté.
«J’ai aussi une famille biologique affectueuse avec laquelle j’ai vécu toute ma vie. Quand je dis que j’ai été adopté, je veux dire que je l’ai été par un père céleste. Ainsi, même quand je suis loin de mes parents terrestres, dans d’autres régions du monde ou du pays, ma famille indéfectible veille toujours sur moi.»
M. Vellacott a ensuite évoqué le «lien de la foi». «Il est beaucoup question de l’adoption dans la Bible, un ouvrage que vous aurez peut-être l’occasion de consulter un jour. C’est pour cette raison que je suis très favorable à l’adoption et que je l’appuie entièrement. Dieu le père adopte les humains depuis des milliers d’années, bien avant… Qu’est-ce qui vient en premier, l’oeuf ou la poule, l’humain ou l’adoption divine? Je crois que c’est cette dernière qui précède tout. Pour cette raison, je crois que les membres du comité devraient favoriser l’adoption pour les principes fondamentaux sur lesquels elle repose.»
Au moins un député siégeant au comité s’est dit «estomaqué» et «choqué». «Nous n’avons pas à mêler religion et État», fait-il valoir.
Opus Dei
Alors que l’élection fédérale bat son plein, la question se pose toujours. Par exemple, Nicole Charbonneau Barron, une ancienne porte-parole du mouvement catholique ultraradical Opus Dei, est encore une fois candidate pour le Parti conservateur dans Saint-Hubert-Saint-Bruno.
La Twittosphère s’est enflammée la semaine dernière lorsque des usagers ont retrouvé un article de 2009 du Globe and Mail racontant que le ministre des Sciences et de la Technologie, Gary Goodyear, refuse de dire s’il adhère ou non à la théorie de l’évolution parce que cela relève de sa «religion».
La candidate conservatrice dans Compton-Stanstead, Sandrine Gressard Bélanger, fait parler d’elle sur la blogosphère à cause de sa façon d’invoquer «l’univers» pour régler ses problèmes d’argent. «On fait une demande à l’univers, on essaye d’être le plus précis possible dans notre demande et on dit merci à l’univers comme si c’était réglé.»
Récemment, l’émission Enquête de Radio-Canada a révélé que la militante religieuse Faytene Kryskow a obtenu du député conservateur Rob Bruinooge un laissez-passer de la Chambre des communes lui permettant de circuler librement dans l’édifice du parlement. Seulement 25 laissez-passer du genre sont en circulation. Mme Kryskow dirige 4MyCanada, un organisme prônant le retour aux valeurs traditionnelles au Canada, mais le tout enrobé dans une sauce mystique. Elle organise des prêches publics au cours desquels elle parle en «langues», une succession de sons insensés par lesquels l’Esprit Saint est censé se manifester. L’imposition des mains est fréquente. Mme Kryskow était présente au parlement le 13 mai 2010 pour filmer la conférence de presse de M. Bruinooge lançant la grande manifestation annuelle pro-vie.
Jason Kenney, l’avortement et le Klu Klux Klan
D’autres faits émergent à propos de l’actuel ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Jason Kenney. À titre de président du tribunal étudiant de l’University of San Francisco, il a été en 1989-1990 au coeur d’une controverse si grande qu’elle a eu des échos dans la presse régionale.
Au nom de ses principes catholiques, l’université avait tenté d’empêcher un groupe d’étudiantes en droit de distribuer des dépliants parlant d’avortement. Quand les jeunes femmes ont menacé d’intenter une poursuite judiciaire, l’université a reculé et adopté un code clarifiant les paramètres de la liberté d’expression sur le campus. Jason Kenney attaque sans relâche cette décision parce qu’elle mine les principes catholiques censés animer l’université. Dans un des textes d’opinion qu’il signe dans le journal de l’université, le Foghorn, le futur ministre explique sa position.
«On doit demander à ces valeureux défenseurs de la « liberté d’expression » s’ils seraient si actifs si c’était le Klu Klux Klan à qui l’université refusait l’accès. Si USF devait accepter ou appuyer les activités d’un groupe dont l’objectif est de légaliser le meurtre prénatal, sur quelle base pourrait-elle refuser une aide similaire à des groupes faisant la promotion du racisme? Sur quelle base refuserait-elle l’implantation d’une cellule Man-Boy Love Association qui demande la légalisation de la pédophilie? Sur quelle base pourrait-elle refuser l’accès à un club fasciste ou une cellule de l’Église de Satan? Seul un relativisme radical qui accorde plus d’importance aux règles qu’à la vérité pourrait justifier d’accepter de telles causes. Une telle approche n’a pas sa place dans une université catholique.»
Jason Kenney avait lancé une pétition demandant à l’Église de retirer son statut catholique à l’université. Au San Francisco Chronicle qui l’interrogeait sur ses motifs, M. Kenney avait répondu: «Si l’université n’est pas prête à offrir un environnement éducatif cohérent avec la foi catholique, elle devrait cesser de s’appeler « catholique ».» Au réseau CNN, M. Kenney avait dit que le groupe «détruit la mission de l’université». L’année précédente, M. Kenney avait tenté d’imposer la prière catholique au début de chaque rencontre du Sénat étudiant, mais l’initiative avait été défaite.
Au sein même de la direction de l’université, les activités du jeune Kenney et consorts étaient critiquées. Le San Francisco Bay Guardian avait publié en avril 1990 un article détaillant «le siège de la droite à USF». Un ancien professeur, Joseph Soehee, décrivait cette jeunesse illuminée ainsi: «Ils veulent le retour des années 50. Et par années 50, je ne veux pas dire les années 1950, je veux dire les années 1550: obédience, obédience, obédience.»
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Is the Christian right changing Canada?
Stephen Harper & The Armagedon Factor, The National
L’avis que vient de publier le Conseil du statut de la femme (CSF) (Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes) touche un sujet très sensible. Dans le contexte actuel où se déchaînent les passions autour de la question du voile intégral ou encore de celle des symboles et rituels religieux dans les institutions publiques (comme la prière du maire de Saguenay, Jean Tremblay), le CSF apporte une bouffée d’air frais dans la controverse qui oppose deux conceptions de la laïcité, qui sont à la fois deux visions antithétiques d’intégration des minorités et deux voies divergentes pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes.
Argumenté solidement, cet avis recense les questions, les problèmes et, surtout, il apporte des réponses cohérentes, constructives et dans le respect des droits des uns et des autres. La question de l’identité québécoise est alors replacée dans le contexte d’une société moderne et hors des sentiers du repli identitaire auquel nous ramène la bataille pour le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale.
La vision confuse de la «laïcité ouverte»
La réaction du maire de Saguenay à la décision du Tribunal des droits de la personne au sujet de la prière et du crucifix aux séances du conseil municipal rappelle une époque que l’on croyait périmée. Depuis la fin des années 60 et la Révolution tranquille, l’identité des Québécois ne repose plus sur l’association entre la nation et la religion. Nous sommes devenus des Québécois, délaissant l’appellation de Canadiens français catholiques.
Devant ces Québécois qui appuient l’appel du maire Tremblay, nous sommes nombreux à croire qu’une grande partie de la responsabilité de ce recul revient à la commission Bouchard-Taylor qui a fait la promotion de la «laïcité ouverte». Le reste de la confusion doit être attribué à l’inaction du gouvernement face à la nécessité d’enchâsser la laïcité dans la Charte des droits de la personne et de baliser les décisions des administrations publiques avec une Charte de la laïcité.
On se rappellera que la Commission avait été mise sur pied justement pour répondre aux demandes d’accommodements religieux qui soulevaient de plus en plus l’impatience des citoyens et surtout des citoyennes, car plusieurs de ces arrangements se faisaient au détriment des droits des femmes. On peut mentionner à titre d’exemple le refus d’intégristes religieux de faire affaire avec des employées féminines de la Société d’assurance automobile du Québec, ou encore la recommandation faite aux policières de la Ville de Montréal de se mettre en retrait lorsque le citoyen interpellé appartenait à un groupe religieux intégriste qui refuse la mixité.
Au lieu de prendre position en faveur de la laïcité dans l’espace civique (à savoir les institutions publiques comme les hôpitaux, les écoles, l’Assemblée nationale, etc.), la commission Bouchard-Taylor a décidé d’en faire un débat sur l’intégration des personnes immigrantes et d’ouvrir grand les bras à toutes les manifestions religieuses venues d’ailleurs telles que le hidjab, le kirpan, le turban, les prières sur les lieux de travail, les congés supplémentaires, la non-mixité des piscines, etc. Mais par la même occasion, la Commission s’est empressée de demander à la société d’accueil de cacher tous ses crucifix, soudainement devenus des manifestations d’un manque d’ouverture au pluralisme.
Confusion et dérapages
De même, la protection des libertés religieuses et des droits individuels a été présentée comme le meilleur moyen d’intégration des minorités, banalisant du même coup des symboles de l’oppression des femmes tel le hidjab. Ces positions, d’ailleurs partagées par le Bloc québécois, Québec solidaire et la Fédération des femmes du Québec, ont fait en sorte que plusieurs Québécois ne se sentent pas écoutés dans leurs aspirations légitimes et se tournent de plus en plus vers les traditionalistes qui invoquent le patrimoine pour camoufler le retour du religieux dans l’espace civique.
C’est d’ailleurs le même phénomène qui explique qu’en Europe, l’extrême droite se présente comme la réponse aux peurs et frustrations de populations confrontées au chômage, à la crise économique et financière et aux doutes face à l’immigration. Confusion, zizanie et risques de dérapages xénophobes sont au rendez-vous.
Une vision claire de la laïcité
Par opposition, le CSF explique éloquemment qu’il ne peut y avoir de cohésion sociale sans le respect des trois valeurs fondamentales sur lesquelles se fonde le Québec moderne, à savoir la primauté du français, la séparation entre les sphères politique et religieuse et enfin, l’égalité entre les femmes et les hommes. Le CSF nous rappelle que la laïcité qui assure la protection de la liberté et de l’égalité entre toutes les citoyennes et citoyens ainsi qu’entre toutes les religions n’est pas reconnue officiellement et que le gouvernement doit corriger cette situation.
L’autre mérite du CSF, c’est d’avoir mis le doigt sur ce qui cloche dans l’approche anglo-saxonne jusqu’à présent utilisée au Canada et conséquemment imposée par la Cour suprême et entérinée par plusieurs de nos institutions. Selon le CSF, «[…] en favorisant les droits individuels sans présenter de contrepoids en ce qui concerne les valeurs collectives, la « laïcité ouverte » enferme la société dans une logique individualiste qui ne permet pas de contrer la politisation des religions qui prend la forme de l’intégrisme ou de la droite religieuse». En ouvrant la porte aux manifestations sexistes sous le couvert de la liberté de religion, la «laïcité ouverte» entrave la marche vers l’égalité réelle entre les sexes.
Par contre, en interdisant le port de signes religieux ostentatoires pour ses employés, l’État crée un espace où ceux-ci peuvent se soustraire aux pressions sociales, culturelles et religieuses qui s’exercent sur eux. C’est tout particulièrement le cas des femmes en raison du statut inférieur qui leur est réservé dans les religions. Ainsi, le visage de neutralité de l’État sera apparent et conforme à ce qu’il doit être dans une société pluraliste. […]
Au moment où les chantres de la «laïcité ouverte» s’apprêtent à tenir en mai prochain leur Symposium sur l’interculturalisme sous la direction de Gérard Bouchard, cet avis du CSF arrive à point nommé pour mettre en lumière le recul important que représente pour les droits des femmes la réintroduction du religieux dans les institutions publiques.
Michèle Sirois – Anthropologue et spécialiste en sociologie des religions et Bernard La Rivière – Docteur en théologie et membre du comité laïcité de Québec solidaire (Les auteurs sont tous deux porte-parole de la Coalition Laïcité Québec)