Le Vatican aura bien pris son temps, mais finalement, plus de 500 ans plus tard, il rejette la « doctrine de la découverte », une demande fréquemment soumise par les Autochtones du Canada à l’Église catholique.

 

Cette doctrine du 15e siècle décrétée un an après l’arrivée de Colomb dans le Nouveau Monde était consacrée par les bulles papales, des documents importants du pape qui sont scellés. Les Européens s’en sont servis, notamment avec le concept de terra nullius (terres vacantes), pour justifier la saisie de territoires qui appartenaient à des peuples autochtones. Ils partaient du postulat que les terres de ce qu’on allait appeler plus tard l’Amérique n’appartenaient à personne.

 

L’ethnologue, consultante et autrice Isabelle Picard explique que selon l’Église catholique, les Autochtones n’avaient pas le niveau de civilisation requis pour être propriétaires de leurs terres et ressources, donc on venait, en quelque sorte, confirmer que les pays colonisateurs avaient le droit d’être propriétaires de ces territoires.

 

Ces prises de position du Vatican ont permis le pillage des terres autochtones et des richesses du nord au sud du continent américain, justifiant le tout par des préceptes dits religieux.

 

Dans un communiqué ce jeudi, le Vatican a déclaré que ces bulles papales n’ont pas reflété de manière adéquate l’égalité de dignité et de droits des peuples autochtones et n’ont jamais été considérées comme des expressions de la foi catholique.

 

« Il est juste de reconnaître ces erreurs, de reconnaître les terribles effets des politiques d’assimilation et la douleur vécue par les peuples autochtones, et de demander pardon. »
— Une citation de Note publiée par les dicastères (ministères) pour la Culture et l’Éducation et le Service du développement humain intégral du Vatican

Selon le document, ces bulles papales ont été manipulées à des fins politiques par les puissances coloniales pour justifier des actes immoraux à l’encontre des peuples autochtones, actes qui ont parfois été commis sans opposition de la part des autorités ecclésiales.

 

L’Église ne fait pas qu’un mea-culpa. Tout en soulignant que le texte publié est important, le Vatican insiste pour affirmer qu’il rejette la mentalité colonisatrice tout en rappelant que les papes ont condamné les actes de violence, d’oppression, d’injustice sociale et d’esclavage, y compris ceux commis contre les peuples autochtones. Et il y a de nombreux exemples d’évêques, de prêtres, de religieux et de laïcs qui ont donné leur vie pour défendre la dignité de ces peuples.

 

Ce ne sont pas bien sûr tous les papes qui ont condamné les exactions commises par les pays colonisateurs à l’encontre des Autochtones, mais certains prêtres en Amérique latine – la plupart étaient des tenants de la théologie de la libération – ont effectivement payé de leur vie un engagement auprès des premiers peuples. Le pape François, qui a été supérieur des Jésuites en Argentine, est bien au fait des prêtres arrêtés, torturés et tués en Amérique latine dans les années 1970 et 1980.

 

Jean-Paul II a cependant poussé plusieurs de ces prêtres engagés hors de l’Église.

 

Le Vatican reconnaît aussi, en même temps, que le respect des faits historiques exige que l’on reconnaisse que de nombreux chrétiens ont commis des actes malveillants à l’encontre des peuples indigènes, pour lesquels les derniers papes ont demandé pardon à de nombreuses reprises.

 
 

Une annonce attendue depuis longtemps

Des Autochtones souhaitent depuis très longtemps l’abolition de la doctrine de la découverte. C’était d’ailleurs une des demandes des Autochtones qui sont allés au Vatican il y a un an.
 

Quand le pape est venu au Canada, les Autochtones espéraient aussi l’entendre condamner cette doctrine. Lors de son séjour, plusieurs l’avaient manifesté par des messages sur des pancartes.

 

Le Saint-Père s’en était cependant abstenu. Cette visite a laissé un goût d’inachevé, avait déclaré la cheffe de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, très déçue.

 

L’APN avait rappelé que la réconciliation passe par l’abolition pure et simple de la doctrine de la découverte, puisque celle-ci a influencé, selon l’organisation, les décisions des tribunaux au Canada et la façon dont les titres ancestraux sont définis.

 

D’ailleurs, cette répudiation faisait partie des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation :

 

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux de rejeter les concepts ayant servi à justifier la souveraineté européenne sur les peuples et les territoires autochtones, comme la doctrine de la découverte et celle de la terra nullius, et de réformer les lois, les politiques gouvernementales et les stratégies d’instance qui continuent de s’appuyer sur de tels concepts. — Appel à l’action 47 de la Commission de vérité et réconciliation
 
Nous demandons aux intervenants de toutes les confessions religieuses et de tous les groupes confessionnels qui ne l’ont pas déjà fait de répudier les concepts utilisés pour justifier la souveraineté européenne sur les terres et les peuples autochtones, notamment la doctrine de la découverte et le principe de terra nullius. — Appel à l’action 49

Il était temps, car cette doctrine a créé une sous-catégorie d’êtres humains, a lancé Isabelle Picard.

 

Cette reconnaissance est vraiment importante, d’autant plus, a-t-elle précisé, qu’elle a encore été utilisée en 2005 aux États-Unis pour justifier la prise de territoires autochtones.

 

La Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) s’est déclarée dans un communiqué reconnaissante envers le Saint-Siège pour la publication de ce texte. En 2016, la CECC, au lendemain du rapport de la Commission canadienne de vérité et réconciliation, avait déjà réfuté la doctrine de la découverte.

 

La loi C-15, entrée en vigueur le 21 juin 2021, rejette aussi ces doctrines. Le texte législatif indique que toutes les doctrines, politiques et pratiques qui reposent sur la supériorité de peuples ou d’individus – ou qui prônent celle-ci – en se fondant sur des différences d’ordre national, racial, religieux, ethnique ou culturel, y compris les doctrines de la découverte et de terra nullius, sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement condamnables et socialement injustes.

 
 

Marie-Laure Josselin
Guy Bois

Radio-Canada

 

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